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+Œuvres principales
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+Victor HugoÉcouter est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 7 ventôse an X (26 février 1802) à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l'un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a eu un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l'histoire des lettres françaises au XIXe siècle, dans des genres et des domaines d’une remarquable variété[2],[3].
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+Au théâtre, Victor Hugo se manifeste comme un des chefs de file du romantisme français lorsqu'il expose sa théorie du drame romantique dans les préfaces qui introduisent Cromwell en 1827[4], puis Hernani en 1830 qui sont de véritables manifestes, puis par ses autres œuvres dramatiques : Ruy Blas en 1838, mais aussi Lucrèce Borgia et Le Roi s'amuse.
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+Victor Hugo est aussi un poète lyrique avec des recueils comme Odes et Ballades (1826), Les Feuilles d'automne (1831) ou Les Contemplations (1856), mais il est aussi poète engagé contre Napoléon III dans Les Châtiments (1853) ou encore poète épique avec La Légende des siècles (1859 et 1877).
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+Ses romans rencontrent également un grand succès populaire, avec notamment Notre-Dame de Paris (1831), et plus encore avec Les Misérables (1862).
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+Son œuvre multiple comprend aussi des discours politiques à la Chambre des pairs, à l'Assemblée constituante et à l'Assemblée législative, notamment sur la peine de mort, l’école ou l’Europe, des récits de voyages (Le Rhin, 1842, ou Choses vues, posthumes, 1887 et 1890), une correspondance abondante, ainsi que de nombreux croquis et dessins à la plume et au lavis.
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+Victor Hugo a fortement contribué au renouvellement de la poésie et du théâtre. Il a été admiré par ses contemporains et l’est encore, mais il a aussi été contesté par certains auteurs modernes[5]. Il a permis à de nombreuses générations de développer une réflexion sur l’engagement de l’écrivain dans la vie politique et sociale grâce à ses multiples prises de position, choisissant de s'exiler pour vivre à Guernesey pendant les vingt ans du Second Empire.
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+Ses choix, à la fois moraux et politiques[6], durant la deuxième partie de sa vie, et son œuvre hors du commun ont fait de lui un personnage emblématique, que la Troisième République a honoré par des funérailles nationales, qui ont accompagné le transfert de sa dépouille au Panthéon de Paris le 1er juin 1885, dix jours après sa mort.
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+Victor-Marie Hugo[1] est le fils du général d'Empire Joseph Léopold Sigisbert Hugo (1773-1828), créé comte, selon la tradition familiale, par Joseph Bonaparte, roi d'Espagne, et en garnison dans le Doubs au moment de la naissance de son fils, et de Sophie Trébuchet (1772-1821), issue de la bourgeoisie nantaise (voir maison natale de Victor Hugo). Il naît le 26 février 1802[7] (« 7 ventôse an X » selon le calendrier républicain alors en vigueur), à Besançon, « vieille ville espagnole » selon ses dires, au 1er étage du 140 Grande Rue (depuis place Victor-Hugo). Le 19 novembre 1821, Léopold Hugo confie à son fils qu’il a été conçu « non sur le Pinde de l'Empire ottoman mais sur un des pics les plus élevés des Vosges, lors d’un voyage de Lunéville à Besançon ». Il ajoute : « cette origine presque aérienne [explique pourquoi] ta muse est constamment sublime[8] ».
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+Le général Joseph Léopold Sigisbert Hugo, père de Victor Hugo.
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+Sophie Trébuchet, mère de Victor Hugo.
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+Cliquez sur une vignette pour l’agrandir.
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+À peine né, il est déjà le centre de l'attention. Enfant fragile, sa mère dormira souvent avec lui et lui donnera beaucoup d'attention[9], comme il le racontera plus tard dans son poème autobiographique Ce siècle avait deux ans. Benjamin d'une famille de trois enfants après Abel Joseph Hugo (1798-1855) et Eugène Hugo (1800-1837), il passe son enfance à Paris, au 8 rue des Feuillantines, dans un logement loué dans l'ancien couvent des Feuillantines
+vendu comme bien national à la Révolution. Ce séjour dans un jardin sauvage, vestige du parc de l'ancien monastère, lui laissera des souvenirs heureux. De fréquents séjours à Naples et en Espagne, à la suite des affectations militaires de son père, marqueront ses premières années. Ainsi, en 1813, alors que Mme Hugo rejoint son mari, la famille fait halte à Hernani, ville du Pays basque espagnol. La même année, il est, avec ses frères Abel et Eugène, pensionnaire dans une institution religieuse de Madrid, le Real Colegio de San Antonio de Abad[10],[11]. Vers 1813, il s'installe à Paris avec sa mère qui s'est séparée de son mari, car elle entretient une liaison avec le général d'Empire Victor Fanneau de la Horie, parrain et précepteur de Victor Hugo auquel il donne son prénom[12] ; Victor l'aimera comme un second père. En septembre 1815, il entre avec son frère à la pension Cordier. D'après Adèle Foucher, son épouse qui fut aussi son amie d'enfance, c'est vers cet âge qu'il commence à versifier. Autodidacte, c'est par tâtonnement qu'il apprend la rime et la mesure[13]. Il est encouragé par sa mère à qui il lit ses œuvres, ainsi qu’à son frère Eugène. Ses écrits sont relus et corrigés par un jeune maître d’études de la pension Cordier qui s’est pris d’amitié pour les deux frères[14]. Sa vocation est précoce et ses ambitions sont immenses. Âgé de quatorze ans à peine, Victor note dans un journal : « Je veux être Chateaubriand ou rien »[15].
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+En 1817, Victor Hugo a quinze ans lorsqu'il participe à un concours de poésie organisé par l'Académie française sur le thème Bonheur que procure l’étude dans toutes les situations de la vie. Le jury est à deux doigts de lui adresser le prix mais le titre de son poème (Trois lustres à peine) suggère trop son jeune âge et l’Académie croit à un canular : il reçoit seulement une mention[16]. Il concourt sans succès les années suivantes mais gagne, à des concours organisés par l'Académie des Jeux floraux de Toulouse, en 1819, un Lys d'or pour La statue de Henri IV[A 1] et une Amaranthe d'or pour Les Vierges de Verdun[A 2],[17], et une Amaranthe d'or en 1820 pour Moïse sur le Nil[18],[19]. Ayant remporté trois prix, il devient Maître-ès-jeux floraux de 1820[20], suivi par Chateaubriand l'année suivante[21].
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+Encouragé par ses succès, Victor Hugo délaisse les mathématiques, pour lesquelles il a des aptitudes (il suit les cours des classes préparatoires au lycée Louis-le-Grand[22]), et embrasse la carrière littéraire. Avec ses frères Abel et Eugène, il fonde en 1819 une revue ultra, Le Conservateur littéraire, qui attire déjà l’attention sur son talent. Son premier recueil de poèmes, Odes, paraît en 1821 : il a alors dix-neuf ans. Les mille-cinq-cents exemplaires s’écoulent en quatre mois. Le roi Louis XVIII, qui en possède un exemplaire, lui octroie une pension annuelle de mille francs[23], ce qui lui permet de vivre de sa passion et d’envisager d’épouser son amie d’enfance Adèle Foucher[12].
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+La mort de sa mère le 27 juin 1821 l’affecte profondément[24]. En effet, les années de séparation d’avec son père l’avaient rapproché de celle-ci. Il épouse, le 12 octobre 1822, en l'église Saint-Sulpice de Paris, son amie d’enfance, Adèle Foucher, née en 1803, qui donne naissance à cinq enfants :
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+Adèle Foucher ayant été, depuis l'adolescence, l'amour secret d'Eugène Hugo (frère puîné de Victor), le mariage précipite Eugène dans la folie : on diagnostique la démence[26] qui conduira à sa prise en charge par Esquirol. Brièvement libéré il se jette sur sa belle-mère un couteau à la main, voulant la tuer. Il sera à nouveau interné, jusqu’à sa mort en 1837[27].
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+Hugo commence la rédaction la même année de Han d'Islande (publié en 1823), qui reçoit un accueil mitigé, mais vaut à son auteur une nouvelle pension de deux mille francs. Une critique de Charles Nodier, bien argumentée, est l’occasion d’une rencontre entre les deux hommes et de la naissance d’une amitié[28]. À la bibliothèque de l'Arsenal, berceau du romantisme, il participe aux réunions du Cénacle[29], qui auront une grande influence sur son développement[30]. Son amitié avec Nodier dure jusqu’à 1827-1830, époque où celui-ci commence à être très critique envers les œuvres de Victor Hugo[31]. Durant cette période, Victor Hugo renoue avec son père[32], qui lui inspirera les poèmes Odes à mon père[b] et Après la bataille[33]. Celui-ci meurt en 1828.
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+Jusqu'en mars 1824, le couple habite chez les parents d'Adèle ; ils déménagent pour le 90, rue de Vaugirard[c], appartement où leur fille Léopoldine naît[34], en août 1824.
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+Sa pièce Cromwell, publiée en 1827, fait éclat. Dans la préface de ce drame, Victor Hugo s’oppose aux conventions classiques, en particulier à l'unité de temps et à l'unité de lieu, et jette les premières bases de son drame romantique.
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+L'arrivée de leur fils Charles en novembre 1826 fait déménager la famille l'année suivante dans une maison au 11, rue Notre-Dame-des-Champs[d],[34].
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+Le couple reçoit beaucoup et se lie avec Sainte-Beuve, Lamartine, Mérimée, Musset, Delacroix[35].
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+François–Victor naît en octobre 1828. En mai 1830, la famille déménage pour la Rue Jean-Goujon[36]. Adèle, leur dernier enfant, naît en juillet. Ils habiteront rue Jean-Goujon jusqu'en octobre 1832.
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+Adèle, la mère, délaissée dans le tourbillon qui a entouré la rédaction, les répétitions, les représentations et le triomphe d’Hernani, se rapproche du meilleur ami et confident du couple, Sainte-Beuve, puis entretient une relation amoureuse avec lui, qui se développe durant l’année 1831[37]. Entre les deux hommes, les relations courtoises se maintiennent pourtant avant que leur amitié ne se transforme en haine (Hugo songe même à le provoquer en duel) lorsqu'Adèle avoue son infidélité à son mari. Leur liaison dure jusqu'en 1837, date à laquelle Sainte-Beuve quitte Paris pour Lausanne[38].
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+De 1826 à 1837, la famille séjourne fréquemment au Château des Roches à Bièvres, propriété de Bertin l’Aîné, directeur du Journal des débats. Au cours de ces séjours, Hugo rencontre Berlioz, Chateaubriand, Liszt, Giacomo Meyerbeer, et rédige des recueils de poésie, dont les Feuilles d'automne. Il publie en 1829, le recueil de poèmes les Orientales. La même année, paraît Le Dernier Jour d'un condamné, court roman dans lequel Victor Hugo présente son dégoût de la peine de mort, sujet qu'il abordera à nouveau dans Claude Gueux en 1834. Le roman Notre Dame de Paris paraît en 1831.
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+De 1830 à 1843, Victor Hugo se consacre presque exclusivement au théâtre, mais publie néanmoins des recueils de poésies : Les Feuilles d'automne (1831), Les Chants du crépuscule (1835), Les Voix intérieures (1837), Les Rayons et les Ombres (1840).
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+Déjà en 1828, il avait monté une œuvre de jeunesse Amy Robsart. L'année 1830 est l'année de la création d’Hernani, qui est l'occasion d'un affrontement littéraire fondateur entre anciens et modernes. Ces derniers, au premier rang desquels Théophile Gautier, s'enthousiasment pour cette œuvre romantique. Le 25 février 1830, la pièce est jouée au Théâtre-Français. Dès les premiers vers, les querelles se font entendre dans le parterre. Rapidement les romantiques et les anciens se battent et se défendent. Ce combat qui restera dans l'histoire de la littérature sous le nom de « bataille d'Hernani », souligne le triomphe de la pièce[39].
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+Gautier résuma en des termes que n’aurait pas reniés Hugo leur combat commun contre les chiens de garde du classicisme, « toutes ces larves du passé et de la routine, tous ces ennemis de l’art, de l’idéal, de la liberté et de la poésie, qui cherchent de leurs débiles mains tremblotantes à tenir fermée la porte de l’avenir »[40]. Marion de Lorme, interdite une première fois en 1829, est montée en 1831 au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, puis, en 1832, Le roi s'amuse au Théâtre-Français. La pièce sera dans un premier temps interdite, fait dont Hugo s'indignera dans la préface de l'édition originale de 1832[41].
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+En 1833, il rencontre l'actrice Juliette Drouet, qui devient sa maîtresse. Elle lui consacrera sa vie et le sauvera de l'emprisonnement lors du coup d'État de Napoléon III. Il écrira pour elle de nombreux poèmes. Tous deux passent ensemble chaque anniversaire de leur première nuit d'amour et remplissent, à cette occasion, année après année, un cahier commun qu'ils nomment tendrement le Livre de l'anniversaire[e],[42],[43]. Mais Juliette ne fut qu'une de ses nombreuses maîtresses[44]. Il y aura notamment Léonie d'Aunet avec qui il entretiendra une liaison de 1844 à 1851 ou l’actrice Alice Ozy en 1847, alors même que son fils Charles en était l'amant[45].
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+Lucrèce Borgia et Marie Tudor sont montées au Théâtre de la porte Saint-Martin en 1833, Angelo, tyran de Padoue au Théâtre Français en 1835. Il manque de salle pour jouer les drames nouveaux. Victor Hugo décide donc, avec Alexandre Dumas, de créer une salle consacrée au drame romantique. Aténor Joly reçoit, par arrêté ministériel, le privilège autorisant la création du théâtre de la Renaissance en 1836[46], où sera donné, en 1838, Ruy Blas.
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+Hugo accède à l'Académie française le 7 janvier 1841, après trois tentatives infructueuses essentiellement dues à certains académiciens menés entre autres par Étienne de Jouy[f], opposés au romantisme et le combattant férocement[47]. Il y prend le fauteuil (no 14) de Népomucène Lemercier, l'un de ces opposants.
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+Puis, en 1843, est montée la pièce Les Burgraves, qui ne recueille pas le succès escompté. Lors de la création de toutes ces pièces, Victor Hugo se heurte aux difficultés matérielles et humaines[g]. Ses pièces sont régulièrement sifflées par un public peu sensible au drame romantique, même si elles reçoivent aussi de la part de ses admirateurs de vigoureux applaudissements[48].
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+Le 4 septembre 1843, sa fille Léopoldine meurt tragiquement à Villequier, dans la Seine, noyée avec son mari Charles Vacquerie dans le naufrage de leur barque. Hugo était alors dans les Pyrénées, avec sa maîtresse Juliette Drouet, et il apprend ce drame par les journaux à Rochefort[49]. L'écrivain est terriblement affecté par cette mort, qui lui inspirera plusieurs poèmes des Contemplations — notamment, « Demain, dès l'aube… ». À partir de cette date et jusqu'à son exil, Victor Hugo ne produit plus rien, ni théâtre, ni roman, ni poème. Certains voient dans la mort de Léopoldine et l'échec des Burgraves une raison de sa désaffection pour la création littéraire[50]. D'autres y voient plutôt l'attrait pour la politique, qui lui offre une autre tribune[51].
+De 1848 à décembre 1851, Victor Hugo habite à l'ancien no 37[52], soit au nouveau no 43 rue de La Tour-d'Auvergne[53]
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+Élevé par sa mère nantaise (Sophie Trébuchet) dans l'esprit du royalisme, il se laisse peu à peu convaincre de l'intérêt de la démocratie (J'ai grandi, écrit-il dans le poème « Écrit en 1846 »[56] en réponse à un reproche d'un ami de sa mère).
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+Selon Pascal Melka[57], Victor Hugo a la volonté de conquérir le régime pour avoir de l'influence et permettre la réalisation de ses idées[58]. Il devient ainsi confident de Louis-Philippe en 1844, puis pair de France en 1845. Son premier discours en 1846 est pour défendre le sort de la Pologne écartelée entre plusieurs pays[59], puis en 1847, il défend le droit au retour des bannis, dont celui de Jérôme Napoléon Bonaparte[60].
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+Le 25 février 1848, il est nommé maire du 8e arrondissement de Paris. Après un premier échec, il est élu le 4 juin député de la deuxième République et siège parmi les conservateurs. Le 20 juin, il prononce son premier discours à l'Assemblée. Lors des émeutes ouvrières de juin 1848, il devient, comme soixante autres, commissaire chargé par l’Assemblée Constituante de rétablir l’ordre. Il commande des troupes face aux barricades, dans l'arrondissement parisien dont il se trouve être le maire[61]. Il désapprouvera plus tard la répression sanglante à laquelle il a participé[62]. Il fonde le journal L'Événement[63] en août 1848. Il est déçu par les autorités issues de la Révolution de février et les lois répressives que vote l’assemblée constituante contre la presse les 9 et 11 août le révulsent et lui font dire : « Les hommes qui tiennent le pays depuis février ont d’abord pris l’anarchie pour la liberté ; maintenant ils prennent la liberté pour l’anarchie »[64]. Il soutient la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte, élu président de la République en décembre 1848. Après la dissolution de l'Assemblée nationale, il est élu le 13 mai 1849 à l'Assemblée législative et prononce son Discours sur la misère le 9 juillet 1849 et le 30 juin 1850[65]. Il rompt avec Louis-Napoléon Bonaparte, lorsque celui-ci soutient le retour du pape à Rome[66], et il se bat progressivement contre ses anciens amis politiques, dont il réprouve la politique réactionnaire.
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+Si Louis-Napoléon a pu penser que le bannissement signifierait la mort de Victor Hugo, Hugo le proscrit savait que le principe de liberté ne meurt pas, Hugo le spirite ne doutait pas que les tombes parlent et sa voix partie de Bruxelles, de Jersey, de Guernesey résonna dans le monde entier.
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+Lors du coup d'État du 2 décembre 1851, Victor Hugo participe à l'organisation d'une résistance qui échoue[67]. Il tente alors d'abord de fuir, puis se constitue prisonnier, mais un commissaire français, flairant le piège, refuse de l'arrêter lui répondant : « M. Hugo, je ne vous arrête pas, car je n'arrête que les gens dangereux[68] ! » Dans la soirée du 11 décembre, il prend le train pour s'exiler à Bruxelles sous la fausse identité de Jacques Firmin Lanvin, ouvrier typographe[69]. Son bannissement est confirmé par le décret du 9 janvier 1852 qui touche les anciens représentants à l'Assemblée nationale, comme Victor Schoelcher et 64 autres[70].
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+Deux jours après son arrivée à Bruxelles, il écrit à sa femme de l’hôtel de la Porte verte : « Pendant douze jours, j’ai été entre la vie et la mort, mais je n’ai pas eu un moment de trouble. J’ai été content de moi. Et puis je sais que j’ai fait mon devoir[71]. » À l’évidence, il ne précise pas à son épouse qu’il doit sa survie à la détermination de sa maîtresse, Juliette Drouet.
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+À Auguste Vacquerie, il exprime la fierté d’avoir été à la hauteur de la mission qu’il s’est assignée en tant qu’homme de lettres impliqué dans l’histoire de son temps : « [...] Je viens de combattre et j’ai un peu montré ce que c’est qu’un poète. Ces bourgeois sauront enfin que les intelligences sont aussi vaillantes que les ventres sont lâches[72]. »
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+Le 13 décembre 1851, il rend visite au ministre de l’Intérieur belge qu’il informe de son projet d’écrire un compte-rendu historique du Deux Décembre. Le ministre lui répond que cela mettrait la Belgique, « petit état à côté d’un voisin fort et violent », dans une situation des plus délicates[71]. Après le plébiscite des 20 et 21 décembre qui approuvent les réformes envisagées par le prince-président, le gouvernement belge s’impatiente devant l’activité des proscrits. Une semaine plus tard, les gendarmes emmènent Hugo devant le procureur du roi. Le 9 janvier 1852, un décret officialise son bannissement et conforte Hugo dans sa conviction qu’il en deviendra plus encore persona non grata en Belgique, d’autant que le chargé d’affaires français à Bruxelles apprend la parution prochaine du livre à charge Le coup d’État du Deux Décembre. Dans le même temps, Louis-Napoléon semble prêt à la conciliation en faisant libérer François-Victor Hugo, emprisonné pour délit de presse ; une information relayée par le journal l’Éclair signale que Hugo est autorisé à rentrer en France s’il en fait la demande – ce à quoi ce dernier déclare ne pas vouloir s’abaisser[73].
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+Où chercher un asile, alors, si on lui signifie son départ ? « Sois tranquille, écrit-il à Adèle, l’Angleterre n’est qu’à une enjambée. » Charles confirme que son père songe à Jersey[74].
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+En attendant, Hugo s’est rendu compte que son récit du Deux décembre est un projet titanesque propre à effrayer les éditeurs : il lui préfère finalement un pamphlet intitulé Napoléon le Petit, « une de mes meilleurs choses », commencée le 14 juin et achevée le 12 juillet 1852[75]. L’ouvrage passera en France par contrebande, édité en volumes petit format plus faciles à dissimuler.
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+Hugo devance l’ordre d’expulsion qui viendra tôt ou tard et le 1er août 1852 embarque pour Anvers, à destination de Londres, puis de Jersey, où il débarque le 5 août. Pourquoi cette île anglo-normande ? Hugo désire se placer sous la protection sûre de l’Angleterre, mais ne souhaite pas rejoindre les proscrits de Londres, dont la mésentente lui est connue ; ignorant l’anglais, il préfère Jersey, « ravissante île anglaise, à dix-sept lieues des côtes de France », où l’on parle français et où la vie est bon marché en raison de faibles droits de douane[75]. Son épouse et sa fille collectent pour lui des renseignements sur l’île : « 4 juin. - M. de Sainte-Beuve [...] doit nous envoyer l'ouvrage de M. de Salvandy sur Jersey, » note sa fille Adèle dans son journal[76]. Hugo sait que le Président va demander au peuple d’approuver par plébiscite le rétablissement de l’Empire. En octobre, il obtient la convocation d’une assemblée générale des proscrits, convainc les quatre-vingt-seize membres présents de voter pour l’abstention et tient à ajouter qu’il ne peut y avoir qu’une seule attitude face à « ce malfaiteur » de Louis-Napoléon : « charger son fusil et attendre l’heure[77]. » Le 6 septembre, Delphine de Girardin loge à Marine-Terrace et entreprend d’initier ses hôtes à la pratique des tables tournantes. Le 11, la table parle pour la première fois. En avril, elle se met à dicter un drame inédit de William Shakespeare. Victor Hugo, qui n’était pas présent, refuse d’en prendre connaissance. En octobre 1855, un des participants est pris d’un violent accès de folie, ce qui met fin définitivement aux séances.
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+En novembre, le rétablissement de l’Empire est approuvé par vote du Sénat et des électeurs à une écrasante majorité.
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+Le 6 décembre 1852 le parlement belge vote la loi Faider qui permet d’engager des poursuites contre « quiconque se serait rendu coupable d’offenses envers la personne des souverains étrangers. » Hugo se sait l’objet d’une surveillance assidue de la part des autorités françaises et britanniques. Toutefois, il rejette avec mépris l’offre d’amnistie qui est faite aux proscrits à la condition qu’ils s’engagent à cesser toute opposition. Trente-trois d’entre eux l’acceptent. Afin de venir en aide à ceux dont la situation est précaire, il cotise à la Caisse d’assistance et reçoit ces compagnons d’exil à Marine Terrace, il organise également une vente de charité. Cependant, devant les dissensions entre modérés et jusqu’au-boutistes, il remet sa démission de la caisse d’entraide.
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+Le 22 octobre 1853, il entame la rédaction des Châtiments, dont le ton violent embarrasse l’éditeur Hetzel. Victor Hugo lui assène : « Jésus était violent, il prenait une verge et chassait les vendeurs, et il frappait de toutes ses forces, dit Saint-Chrysostome[78]. »
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+À l’occasion de deux discours prononcés sur la tombe de proscrits, il se lance pour le premier dans une diatribe contre l’Église de France asservie au pouvoir et dans le second contre le despote qui gouverne la France[79].
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+Il s’attaque encore au despotisme à l’occasion du vingt-troisième anniversaire de la révolution polonaise contre la domination russe[80].
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+Il rejette cependant toute idée de vengeance sanglante, que ce soit contre Napoléon une fois la démocratie rétablie, ou à l’encontre de tel proscrit convaincu de trahison[81]. Fin novembre 1853, Les Châtiments sont publiés à Bruxelles. L’acharnement des plus hautes autorités françaises à prévenir l’entrée en France des œuvres et discours de Victor Hugo témoigne clairement du crédit qu’elles accordent à son talent de polémiste et de l’inquiétude qu’il suscite. Mais elles ne peuvent endiguer le flot des entrées. Hugo recourt même à des intermédiaires tels que Louise Colet ou Gustave Flaubert[82].
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+Au début de 1854, l’alliance de la France et du Royaume-Uni contre la Russie – Hugo parle de l’Anglo-France – met les proscrits dans une position de plus grande fragilité envers le pays qui les accueille. Aussi, leurs attaques contre le pouvoir français semblent se faire moins virulentes et leur action se tourne vers les questions sociales[83].
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+Il semble apaisé et affirme que l’exil aura été finalement une excellente chose. C’est du moins ce qu’il écrit à David d’Angers en avril 1854 : « Cher ami, enviez-moi, enviez-moi tous ; ma proscription est bonne, et j’en remercie la destinée » et ce qu’il confirme dans ses carnets en décembre : « Je trouve de plus en plus l’exil bon ; […] Je mourrai peut-être dans l’exil, mais je mourrai accru. »
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+Tout est bien. […][84],[85] »
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+Néanmoins, Hugo plaide avec énergie l’acquittement d’un certain John Tapner, condamné à mort et finalement exécuté. En février, il écrit alors à Lord Palmerston, l’accuse d’avoir voulu se concilier les autorités françaises en ne voulant rien accorder à leur adversaire le plus célèbre, et lance : « Votre reine aurait le droit de grâce, et M. Bonaparte aurait le droit de véto ! »
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+Ses critiques envers la reine Victoria et l’Angleterre sont évoquées à la Chambre des communes :
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+That individual had a sort of personal quarrel with the distinguished personage whom the people of France had chosen for their Sovereign, and he told the people of Jersey that our alliance with the French Emperor was a moral degradation to England. What was all this to M. Victor Hugo? If miserable trash of this kind was to be addressed to the English people by foreigners who found a safe asylum in this country, he would appeal to the noble Lord the Home Secretary whether some possible step could not be taken to put a stop to it.
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+« Ce particulier entretenait en quelque sorte une querelle avec la personne distinguée et élevée que le peuple de France s’est choisi pour souverain, et il est allé dire à la population de Jersey que notre alliance avec l’Empereur des Français était une dégradation morale pour l’Angleterre. En quoi tout cela concerne-t-il M. Victor Hugo ? Si des étrangers qui ont trouvé un asile sûr dans notre pays devaient à nouveau proférer d’aussi misérables niaiseries, [j’en] appellerais à l’honorable Lord, Ministre de l’intérieur, afin de réfléchir au moyen qu’il conviendrait de prendre pour y mettre un terme. »
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+— (en) « Sir Robert Peel,3rd Baronet - The address in answer to the speech », sur Hansard 1803-2005, 12 décembre 1854 (consulté le 17 juin 2017)
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+Victor Hugo se rend compte qu’il a heurté la susceptibilité des Britanniques : « Pour les Anglais, je suis shocking, excentric [sic], improper[86]. » Il songe à se rendre au Portugal ou en Espagne qui lui propose de l’accueillir, mais il décline l’offre, arguant de la publication prochaine des Contemplations[87].
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+Il ne calme toujours pas ses ardeurs politiques comme lors de son discours à l’occasion du banquet d’anniversaire du 24 février 1848 où il s‘écrie : « Vive la Révolution future[88] ! »
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+Il continue de s’intéresser au sort des proscrits dans le besoin et fait un appel aux dons. Cela n’empêche pas certains de s’agacer devant le train de vie de la famille Hugo, comme lorsque Hugo se met à l’équitation[89].
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+Le deux décembre, Sir Robert Peel demande au gouvernement de sévir si Victor Hugo s’obstinait à critiquer le souverain d’un pays allié. Hugo n’en a cure et n’hésite pas adresser une lettre ouverte sarcastique à Napoléon III à la veille de sa visite officielle au Royaume-Uni[90].
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+Une fois rentré en France, l’Empereur échappe à un attentat : Hugo est soupçonné d’accueillir clandestinement chez lui le frère du terroriste[91]. Les autorités britanniques se montrent de plus en plus impatientes avec les proscrits. C’est alors que leur journal – l’Homme – publie le 10 octobre La Lettre à la Reine signée par l’un d’eux – Félix Pyat, qui reproche à la reine Victoria d’avoir « tout sacrifié : dignité de reine, scrupules de femme, […] le rang, la race, le sexe, tout jusqu’à la pudeur, pour l’amour de cet allié, […] même l’honneur » lors de sa visite officielle à Napoléon III. Les Jersiais sont indignés et le consul de France en profite pour appuyer la demande de mesures sévères contre ces opposants sans foi ni loi. Le gouvernement britannique agit très rapidement et ordonne pour le deux novembre, dernier délai, le départ des proscrits. Le Moniteur universel, organe du pouvoir impérial, rapporte la nouvelle et vise en particulier Victor Hugo. Nombre de journaux d’outre-Manche sont virulents, des meetings de protestation sont organisés.
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+Le 31 octobre 1854, à 7 heures du matin, Hugo devance la date ultime d’ « expioulcheune », comme il aime à l’écrire, et s’embarque pour Guernesey.
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+Il y reçoit un accueil respectueux mais méfiant. Le 9 novembre 1854, il passe sa première nuit à Hauteville House, qu’il achète en mai de l’année suivante grâce aux énormes ventes des Contemplations. Plus tard, il acquiert également une maison où Juliette Drouet emménage en juin 1864.
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+Hugo reçoit quelques visiteurs du continent, tel Boucher de Perthes[92] en 1860. Le fondateur de la science préhistorique le décrit alors comme un « républicain gentilhomme […], fort bien installé, vivant en père de famille […], aimé de ses voisins et considéré des habitants ». Ces années difficiles sont très fécondes. Il publiera notamment Les Châtiments (1853), œuvre en vers qui prend pour cible le Second Empire ; Les Contemplations, poésies (1856) ; La Légende des siècles (1859), ainsi que Les Misérables, roman (1862). Il rend hommage au peuple de Guernesey dans son roman Les Travailleurs de la mer (1866).
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+Les hostilités entre proscrits et autorités françaises se calment. La France signataire d’un traité de paix avec la Russie, la dynastie assurée d’un héritier avec la naissance d’un fils ; le régime installé plus fermement, tout cela peut expliquer que la vindicte de l’Empereur à l’égard des bannis se fasse plus discrète[93].Victor Hugo s’exprime peu. Il se consacre à son œuvre et sa production est prolifique. Il remercie de leur soutien les organisateurs anglais du meeting de Newcastle en novembre 1855[94], engage les Italiens à se défier de la royauté en mai 1856, et les Grecs à poursuivre la lutte pour le respect de leur identité en août. Aucune intervention en 1857, 1858. Même l’attentat d’Orsini du 14 janvier 1858, dans lequel un faux grossier tente pourtant de l’impliquer, ne suscite pas de commentaires, y compris dans son journal. En avril 1859, la France entre en guerre aux côtés du Piémont contre l’Autriche. Hugo avait souhaité une Italie libérée mais il n’exprime pas de réaction devant une entreprise menée par un despote pour chasser d’Italie un autre despote. En août, il réaffirme son refus de l’amnistie accordée aux proscrits, fidèle en cela aux vers de 1852 dans Ultima Verba : « Et s'il n'en reste qu'un, je serai celui-là », ou « Je resterai proscrit, voulant rester debout[95]»; il rédige également une lettre ouverte aux citoyens des États-Unis pour leur demander de renoncer à l’exécution d’un anti-esclavagiste blanc dénommé John Brown.
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+Avec les succès de l’Empereur contre l’Autriche, sa politique de soutien au nationalisme italien, les critiques de la presse française contre la répression de la révolte des Cipayes en Inde, l’acquisition de la Savoie et de Nice, les autorités britanniques voient Napoléon III d’un œil de plus en plus méfiant et ses opposants avec moins de sévérité. Aussi ne s’opposent-elles pas, en juin 1860, à ce que Hugo revienne à Jersey à la demande de ses habitants, afin d’aider à lever une souscription en soutien à Garibaldi. Il tient un discours qui a un énorme retentissement : « Que le moujik, que le fellah, que le prolétaire, que le paria, que le nègre vendu, que le blanc opprimé, que tous espèrent ; les chaînes sont un réseau ; [...] une rompue, la maille se défait.[96] »
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+Il répond en outre aux remerciements d’un journaliste noir, dans le sillage de l’affaire John Brown, en affirmant sa foi dans la fin de l’esclavage et l’égalité à venir des blancs et des noirs. En novembre 1861, le sac du Palais d’Eté à Pékin lui inspire une réprobation sans ambages : « Nous Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie[97]. »
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+Au printemps 1862, le roman Les Misérables paraît en France. Hugo craint que l’ouvrage ne soit saisi. Il n’en est rien, mais le livre est soit passé sous silence, soit éreinté par la presse officielle. En mars, il organise le premier repas qu’il offre à des enfants pauvres, qui de huit passeront à quarante[98]. Au cours de l’année 1862, il intervient à plusieurs reprises, notamment contre la peine de mort. Il travaille à son Shakespeare.
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+En février 1863, il lance un appel aux soldats russes pour leur enjoindre de ne pas écraser le soulèvement polonais ; en mars, nouveaux plaidoyers contre la peine capitale ; lettre aux « hommes de Puebla », résistants mexicains assiégés par l’armée française : la vraie France n’est pas celle d’un despote qui a entrepris de placer à la tête du Mexique un autre despote. Son esprit a surtout été occupé par le travail préparatoire pour Quatrevingt-treize et la rédaction de William Shakespeare, achevée en décembre[99].
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+En avril 1864, se tient à Paris un banquet en commémoration du 300e anniversaire de la naissance de Shakespeare. La présidence est décernée à Hugo, même s’il est évident qu’il ne pourra en occuper le fauteuil. Les autorités interdisent néanmoins la cérémonie. Juin : il entame l’écriture des Travailleurs de la mer ; novembre : il retourne à Guernesey après quelque onze mois de voyage.
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+Lors de l’année 1865, il profite de plusieurs événements officiels pour écrire son refus de la peine de mort, de l’oppression des peuples et de la guerre. En avril, il a terminé Les Travailleurs de la mer. Le 1er juillet, il arrive à Bruxelles, où il voit Baudelaire à plusieurs reprises et dîne avec lui[100]. Une partie de la presse belge l’accuse d’appuyer les critiques des réfugiés français hostiles au régime napoléonien ; en octobre paraissent les Chansons des rues et des bois.
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+1866 le voit poursuivre épisodiquement les mêmes combats ; il écrit L’Homme qui rit et une introduction à Paris-Guide. Il reçoit, selon ses propres dires, 300 à 400 visiteurs par an[101].
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+En juin 1867, il demande la grâce de Maximilien Ier, mais la lettre arrive trop tard. Le même mois, la reprise d’Hernani attire des milliers de spectateurs, ce qui en fait le plus gros succès de l’année ; il se réjouit de l’abolition de la peine de mort par le Portugal et se désole dans un long poème publié en novembre de la défaite de Garibaldi devant « la papauté féroce » et les troupes envoyées par Napoléon III, alias « le fils du Judas biblique »[102]. En décembre, le gouvernement français interdit Ruy Blas de représentation.
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+1868 est une année de tristesse pour Hugo dont le petit-fils en avril, puis l’épouse en août décèdent à Bruxelles. Il ne se manifeste guère : il envoie sa souscription à l’érection d’une statue en l’honneur du médecin et homme politique Alphonse Baudin, tué sur une barricade en tentant de s’opposer au coup d’État ; son intervention la plus notable est peut-être son exhortation à l’Espagne pour l’établissement d’une république. Il accueille également pendant plusieurs mois Henri Rochefort sous le coup d’une forte amende et d’une peine de prison. il écrit son soutien à plusieurs journaux condamnés.
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+En 1869, ses fils et quelques autres fondent un journal qui portera la voix des opposants au régime[103]. Hugo en trouve le titre : Le Rappel ; il suit avec passion les élections législatives de mai auxquelles se présente Rochefort ; il envoie des textes à des journaux frappés d’amendes afin qu’ils puissent augmenter leurs ventes ; il apporte sa souscription en aide aux mineurs grévistes victimes de la répression ; il accepte la présidence du troisième congrès pour la paix et la liberté qui se tient à Lausanne en septembre 1869. À la suite des élections législatives, Napoléon III décide qu’il ne convoquera pas les Chambres législatives, ce qui provoque dans la population un mécontentement explosif. Beaucoup pensent que par sa stature Hugo est appelé à jouer un rôle fondamental. Le 12 octobre le journal libéral Le Siècle, sous la plume de Louis Jourdan, publie un article qui frappe les esprits dès les premières phrases : « En ce moment, deux hommes placés aux pôles extrêmes du monde politique encourent la plus lourde responsabilité que puisse porter une conscience humaine. L’un d’eux est assis sur le trône, c’est Napoléon III ; l’autre, c’est Victor Hugo[104].» Pour autant, ce dernier se refuse à toute idée d’insurrection et se prononce même contre une manifestation que son fils Charles souhaite voir se dérouler dans les rues de Paris : Hugo pense que sans le soutien de la gauche, elle se heurtera à un échec[105]. Bien sûr, il n'accorde aucun intérêt à la nouvelle amnistie accordée par Napoléon III en août 1869.
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+Quand Napoléon III lance un plébiscite sur la libéralisation du régime, en mai 1870, Hugo manifeste son opposition car il ne voit là qu’un trompe-l’œil, et que la seule voie acceptable est la chute du régime honni, ce qui lui vaut une citation à comparaître pour incitation au mépris et la haine du pouvoir impérial. Lorsque la guerre franco-prussienne est déclarée, Hugo croit « à l'écrasement de la Prusse »[106]. Dans le climat délétère qui règne alors, les autorités françaises font courir le bruit que Hugo appuie une tentative d’assassinat contre Napoléon, puis qu’il est coupable de collusion avec l’ennemi[107]. Une fois la défaite consommée, il obtient un passeport le 20 août. Un télégramme crypté d’Emile Allix (« Amenez immédiatement les enfants ») l’informe qu’il lui est désormais possible de rentrer à Paris sans danger. Le 5 septembre, il passe la frontière à 16h00 et arrive à 21h00 gare du Nord. Il est fêté tout le long du retour [108].
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+L’exil de quasiment dix-neuf ans prend fin.
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+Le voilà donc en France. Selon ses notes de la fin août [h], il espère alors fermement que son pays va lui offrir la dictature[110]. Les Parisiens lui font un accueil triomphal. Il participe activement à la défense de la ville assiégée. Dans le même temps, il lui importe, au nom de l’intérêt du pays, de soutenir le gouvernement de la Défense nationale présidé par le Général Trochu. Aussi, lorsque le 17 janvier 1871, Louis Blanc lui demande à nouveau d’intervenir pour exercer une pression sur le général, il répond : « Je vois plus de danger à renverser le gouvernement qu’à le maintenir »[111]. Élu à l'Assemblée nationale (siégeant alors à Bordeaux) le 8 février 1871, il en démissionne le mois suivant pour protester contre l'invalidation de Garibaldi. En mars 1871, il est à Bruxelles pour régler la succession de son fils Charles lorsqu'éclate la Commune. C'est de Belgique qu'il assiste à la révolte et à sa répression, qu'il désapprouve si vivement qu'il est expulsé de ce pays[112]. Il trouve refuge pendant trois mois et demi au Grand-Duché (1er juin-23 septembre). Il séjourne successivement à Luxembourg, à Vianden (deux mois et demi), à Diekirch et à Mondorf, où il suit une cure thermale. Il y achève le recueil L'Année terrible. Il retourne en France fin 1871. Le 2 juillet, il est largement battu aux élections. Plusieurs comités républicains l'ayant sollicité, il accepte de se porter candidat à l'élection complémentaire du 7 janvier 1872. Apparaissant comme « radical » en raison de sa volonté d’amnistier les communards, il est battu par le républicain modéré Joseph Vautrain[113].
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+La même année, Hugo se rend à nouveau à Guernesey où il écrit le roman Quatrevingt-treize. En 1873, il est à Paris et se consacre à l'éducation de ses deux petits-enfants, Georges et Jeanne, qui lui inspirent le recueil L'Art d'être grand-père. Il reçoit beaucoup, hommes politiques et littéraires, les Goncourt, Lockroy, Clemenceau, Gambetta[112]… Le 30 janvier 1876, il est élu sénateur et milite pour l'amnistie. Il s'oppose à Mac Mahon quand celui-ci dissout l'assemblée[112]. Dans son discours d'ouverture du congrès littéraire international de 1878, il se positionne pour le respect de la propriété littéraire, mais aussi pour le fondement du domaine public. En juin 1878, Hugo est victime d'un malaise, peut-être[114] une congestion cérébrale. Il part se reposer quatre mois à Guernesey dans sa demeure de Hauteville House, suivi de son « secrétaire bénévole » Richard Lesclide[115]. Ce mauvais état de santé met pratiquement fin à son activité d'écriture. Toutefois, de très nombreux recueils, réunissant en fait des poèmes datant de ses années d'inspiration exceptionnelle (1850-1870), continuent à paraître régulièrement (La Pitié suprême en 1879, L'Âne, Les Quatre Vents de l'esprit en 1881, la dernière série de la Légende des siècles en septembre 1883…), contribuant à la légende du vieil homme intarissable jusqu'à la mort[i]. Durant cette période, nombre de ses pièces sont de nouveau jouées (Ruy Blas en 1872, Marion de Lorme et Marie Tudor en 1873[116], Le roi s'amuse en 1882)[112].
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+Sous la Troisième République, le gouvernement Ferry promulgue la loi du 30 juillet 1881, dite de « réparation nationale », qui alloue une pension ou rente viagère aux citoyens français victimes du coup d'État du 2 décembre 1851 et de la loi de sûreté générale. La Commission générale chargée d'examiner les dossiers, présidée par le Ministre de l'Intérieur, est composée de représentants du ministère, de conseillers d'État, et comprend huit parlementaires, tous d'anciennes victimes : quatre sénateurs (Victor Hugo, Jean-Baptiste Massé, Elzéar Pin, Victor Schœlcher) et quatre députés (Louis Greppo, Noël Madier de Montjau, Martin Nadaud et Alexandre Dethou)[117].
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+Jusqu'à sa mort, en 1885, il reste une des figures tutélaires de la république retrouvée — en même temps qu'une référence littéraire incontestée[j]. Le vendredi 15 mai, il est victime d'une congestion pulmonaire[118]. Il meurt le 22 mai 1885[119], jour de la fête de Juliette Drouet, dans son hôtel particulier « La Princesse de Lusignan », qui était situé au 50 avenue Victor-Hugo, à la place de l'actuel no 124[120]. Trois jours avant sa mort, il écrit cette dernière pensée : « Aimer, c’est agir »[121], et selon la légende, ses derniers mots sont : « C'est ici le combat du jour et de la nuit… Je vois de la lumière noire »[122]. Conformément à ses dernières volontés[k], c'est dans le « corbillard des pauvres » qu'a lieu la cérémonie. Il est d'abord question du Père Lachaise, mais le premier juin, à la suite du décret du 26 mai 1885 lui accordant des obsèques nationales[123] voté par 415 voix sur 418[124], il est finalement conduit au Panthéon, la jeune Troisième République profitant de cet événement pour retransformer l'église Sainte-Geneviève en Panthéon[125]. Avant son transfert, son cercueil est exposé une nuit sous l'Arc de triomphe voilé obliquement par un crêpe noir ; des cuirassiers à cheval veillent toute la nuit le catafalque surmonté des initiales VH, selon l'ordonnancement de Charles Garnier[126]. On considère qu’environ deux millions de personnes et 2 000 délégations se sont déplacées pour lui rendre un dernier hommage[127], le cortège vers le Panthéon s'étire sur plusieurs kilomètres[128]. Il est alors l'écrivain le plus populaire de son temps ; il est déjà depuis plusieurs décennies considéré comme l'un des monuments de la littérature française[129].
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+Victor Hugo sur son lit de mort (cliché de Nadar)
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+Le catafalque sous l'Arc de Triomphe de Paris
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+La foule à l'enterrement de Victor Hugo
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+Le cortège funèbre arrive devant le Panthéon
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+Le tombeau de Victor Hugo au Panthéon
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+L'enterrement de Victor Hugo.
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+Le Minutier central des notaires de Paris, département des Archives nationales, conserve des testaments et codicilles olographes de Victor Hugo, à la suite de son décès survenu en son domicile (aujourd'hui 50, avenue Victor-Hugo), le 22 mai 1885, dans lesquels on trouve le testament mystique dicté par lui le 9 avril 1875, clos le 9 avril 1875 et déposé le 23 mai 1885 ; son testament olographe du 5 mai 1864, à Guernesey, déposé le 12 avril 1886, etc.[130].
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+L'ensemble des écrits de Victor Hugo (triés et organisés par ses exécuteurs testamentaires Paul Meurice et Auguste Vacquerie[131]) a été publié chez Jean-Jacques Pauvert et représente presque quarante millions de caractères réunis en 53 volumes.
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+« L'ensemble de mon œuvre fera un jour un tout indivisible […] Un livre multiple résumant un siècle, voilà ce que je laisserai derrière moi[132] »
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+Victor Hugo a pratiqué tous les genres : roman, poésie, théâtre, essai, etc. — avec une passion du Verbe, un sens de l'épique et une imagination féconde[133]. Écrivain et homme politique, Victor Hugo n'a jamais cherché à opérer une distinction entre son activité d'écrivain et son engagement[134]. Ainsi mélange-t-il intimement, dans ses œuvres de fiction, développement romanesque et réflexion politique[135].
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+Ses écrits témoignent de ses intérêts multiples qui allaient de la science à la philosophie, de la Terre à l’univers entier ; ils illustrent sa passion pour l’histoire tout autant que sa foi en l’avenir ; ils s’inspirent de tout ce que Hugo voyait, entendait, vivait, de tout ce qu’il disait dans sa vie quotidienne comme le confia Charles Hugo aux Goncourt : il « a toujours un calepin dans sa poche et [...] dès qu’en causant avec vous, il dit la moindre pensée, il profère la plus petite idée, […] il s’écarte un peu, tire son calepin et écrit ce qu’il vient de dire »[136].
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+Hugo a laissé neuf romans. Le premier, Bug-Jargal a été écrit à seize ans ; le dernier, Quatrevingt-treize, à soixante-douze. L'œuvre romanesque a traversé tous les âges de l'écrivain, toutes les modes et tous les courants littéraires de son temps, sans jamais se confondre totalement avec aucun ; en effet, allant au-delà de la parodie, Hugo utilise les techniques du roman populaire en les amplifiant et subvertit les genres en les dépassant[137] : si Han d'Islande, en 1823, Bug-Jargal, publié en 1826, ou Notre-Dame de Paris, en 1831, ressemblent aux romans historiques en vogue au début du XIXe siècle ils en dépassent le cadre ; Hugo n'est pas Walter Scott et, chez lui, le roman se développe vers l'épopée et le grandiose[l].
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+Le Dernier Jour d'un condamné en 1829 et Claude Gueux en 1834 engagent une réflexion directement sociale, mais ils ne sont pas plus aisés à définir[138]. Pour Hugo lui-même, il faut distinguer « romans de faits et romans d'analyse ». Ces deux derniers sont des romans à la fois historiques et sociaux, mais sont surtout des romans engagés dans un combat — l'abolition de la peine de mort — qui dépasse de loin le cadre de la fiction.
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+On peut en dire autant des Misérables, qui paraît en 1862, en pleine période réaliste, mais qui lui emprunte peu de caractéristiques[139].
+
+Dans une lettre à Lamartine, Hugo explique : « Oui, autant qu’il est permis à l’homme de vouloir, je veux détruire la fatalité humaine ; je condamne l’esclavage, je chasse la misère, j’enseigne l’ignorance, je traite la maladie, j’éclaire la nuit, je hais la haine. Voilà ce que je suis, et voilà pourquoi j’ai fait Les Misérables. Dans ma pensée, Les Misérables ne sont autre chose qu’un livre ayant la fraternité pour base et le progrès pour cime »[140].
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+Ce succès populaire phénoménal suscita le sarcasme des Goncourt qui trouvèrent en particulier « amusant de gagner deux cent mille francs […] à s’apitoyer sur les misères du peuple »[141].
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+Il embarrasse encore aujourd'hui la critique, car il louvoie constamment entre mélodrame populaire, tableau réaliste et essai didactique[142].
+
+De la même façon, dans Les Travailleurs de la mer (1866) et dans L'Homme qui rit (1869), Hugo se rapproche davantage de l'esthétique romantique du début du siècle, avec ses personnages difformes, ses monstres et sa Nature effrayante[143].
+
+Enfin, en 1874, Quatrevingt-treize signe la concrétisation romanesque d'un vieux thème hugolien : le rôle fondateur de la Révolution française dans la conscience littéraire, politique, sociale et morale du XIXe siècle. Il mêle alors la fiction et l'histoire, sans que l'écriture marque de frontière entre les narrations[144].
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+Le roman hugolien n'est pas un « divertissement » : pour lui l'art doit en même temps instruire et plaire[m] et le roman est presque toujours au service du débat d'idées. Cette constante traverse les romans abolitionnistes de sa jeunesse, elle se poursuit, dans sa maturité, au travers de ses nombreuses digressions sur la misère matérielle et morale dans Les Misérables[n].
+
+Poète ou romancier, Hugo demeure le dramaturge de la fatalité[145] et ses héros sont, comme les héros de tragédie, aux prises avec les contraintes extérieures et une implacable fatalité ; tantôt imputable à la société (Jean Valjean ; Claude Gueux ; le héros du Dernier jour d'un condamné), tantôt à l'Histoire (Quatrevingt-treize) ou bien à leur naissance (Quasimodo). Le goût de l'épopée, des hommes aux prises avec les forces de la Nature, de la Société, de la fatalité, n'a jamais quitté Hugo[146] ; l'écrivain a toujours trouvé son public, sans jamais céder aux caprices de la mode, et personne ne s'étonne qu'il ait pu devenir un classique de son vivant[147].
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+Le théâtre de Victor Hugo se situe dans un renouveau du genre théâtral initié par Madame de Staël, Benjamin Constant, François Guizot, Stendhal[148] et Chateaubriand. Dans sa pièce Cromwell qu'il sait être injouable à son époque[148] (pièce de 6 414 vers et aux innombrables personnages), il donne libre cours à son idée du nouveau théâtre. Il publie conjointement une préface destinée à défendre sa pièce et où il expose ses idées sur le drame romantique : un théâtre « tout-en-un »[148], à la fois drame historique, comédie, mélodrame et tragédie. Il se revendique dans la lignée de Shakespeare[148], jetant un pont entre Molière et Corneille[149]. Il y expose sa théorie du grotesque qui se décline sous plusieurs formes[150] : du ridicule au fantastique en passant par le monstrueux ou l'horrible. Victor Hugo écrit « Le beau n'a qu'un type, le laid en a mille »[151]. Anne Ubersfeld parle à ce sujet de l'aspect carnavalesque du théâtre hugolien[152] et de l'abandon de l'idéal du beau[148]. Selon Victor Hugo, le grotesque doit côtoyer le sublime, car ce sont les deux aspects de la vie[153].
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+Lors de la création de ses autres pièces, Victor Hugo est prêt à de nombreuses concessions[154] pour apprivoiser le public et le mener vers son idée du théâtre[o]. Pour lui, le romantisme est le libéralisme en littérature[155]. Ses dernières pièces, écrites durant l'exil et jamais jouées de son vivant, sont d'ailleurs réunies dans un recueil au nom évocateur Théâtre en liberté. Le théâtre doit s'adresser à tous : l'amateur de passion, celui de l'action ou celui de la morale[149],[p]. Le théâtre a ainsi pour mission d'instruire, d'offrir une tribune pour le débat d'idées et de présenter « les plaies de l'humanité avec une idée consolante[156] ».
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+Victor Hugo choisit de situer ses pièces principalement dans les XVIe et XVIIe siècles, se documente beaucoup avant de commencer à écrire[157], présente souvent une pièce à trois pôles : le maître, la femme, le laid[158] où se confrontent et se mélangent deux mondes : celui du pouvoir et celui des serviteurs[q], où les rôles s'inversent (Ruy Blas, serviteur, joue le rôle d'un grand d'Espagne), où le héros se révèle faible et où le monstre a une facette attachante[r].
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+Victor Hugo reste attaché à l'alexandrin auquel il donne cependant, quand il le souhaite, une forme plus libre[159] et rares sont ses pièces en prose (Lucrèce Borgia, Marie Tudor).
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+Victor Hugo, s'il possède d'ardents défenseurs de son théâtre comme Théophile Gautier, Gérard de Nerval, Hector Berlioz, Petrus Borel, etc.[160], a aussi rencontré de nombreuses difficultés dans la présentation de ses pièces.
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+La première est une opposition politique. Sa remise en question des représentants du pouvoir ne plaît pas, Marion de Lorme est interdite, le Roi s'amuse l'est aussi après sa première représentation, Les Ultras attaquent Ruy Blas[161].
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+La seconde est la contrainte économique : il n'existe sur Paris que deux théâtres susceptibles de représenter le drame, le Théâtre-Français et le théâtre de la Porte-Saint-Martin. Ces deux théâtres subventionnés ne roulent pas sur l'or et sont tributaires des subsides de l'État. Leurs directeurs hésitent à prendre des risques[46]. Victor Hugo se plaindra du manque de liberté qu'ils offrent[162]. C'est une des raisons qui lui font entreprendre l'aventure du théâtre de la Renaissance.
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+La troisième et la plus importante est une opposition du milieu artistique lui-même. Les artistes et les critiques de son époque sont pour beaucoup hostiles à la transgression des codes culturels que représente le théâtre de Victor Hugo. Ils approuvent les grandes pensées qui élèvent l'âme, mais s'insurgent contre tout ce qui relève du grotesque, du vulgaire, du populaire ou du trivial[163]. Ils ne supportent pas tout ce qui est excessif, lui reprochent son matérialisme et son absence de morale[164]. Ils critiquent vigoureusement chaque pièce présentée et sont souvent à l'origine de leur arrêt prématuré. Le Roi s'amuse ne fut représenté qu'une seule fois[s], Hernani, pourtant forte de cinquante représentations à succès ne fut pas reprise en 1833, Marie Tudor n'est joué que 42 fois[165], Les Burgraves sont un échec et sont retirés de l'affiche après trente-trois représentations[166]. Ruy Blas est un succès financier, mais est boudé par la critique[167]. Balzac envoya à Madame Hanska un commentaire au vitriol : « Ruy Blas est une énorme bêtise, une infamie en vers. Jamais l’odieux et l’absurde n’ont dansé de sarabande plus dévergondée. Il a retranché ces deux horribles vers :
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+… Affreuse compagnonne/Dont la barbe fleurit et dont le nez trognonne.
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+Mais ils ont été dits pendant deux représentations. Je n’y suis pas encore allé : je n’irai probablement pas. À la quatrième représentation, où le public est arrivé, on a sifflé d’importance[168]. »
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+Seule Lucrèce Borgia peut être considérée comme un plein succès.
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+Florence Naugrette fait remarquer que le théâtre de Victor Hugo a été peu joué dans la première moitié du XXe siècle[169],[170]. Il est remis au goût du jour par Jean Vilar en 1954 qui monte successivement Ruy Blas et Marie Tudor. D'autres metteurs en scène suivent qui font revivre Lucrèce Borgia (Bernard Jenny), Les Burgraves et Hernani (Antoine Vitez), Marie Tudor (Daniel Mesguich), les pièces du Théâtre en liberté (L'Intervention, Mangeront-ils?, Mille Francs de récompense…) sont montées dans les années 1960 et continuent à l'être. On peut lire aujourd'hui l'ensemble de ce Théâtre en liberté dans l'édition qu'en a procurée Arnaud Laster[171]. Naugrette souligne aussi les difficultés d'interprétation du théâtre hugolien, comment n'être ni grandiloquent, ni prosaïque, mais sans fausse pudeur, comment présenter le grotesque sans glisser vers la caricature et comment gérer l'immensité de l'espace scénique et rappelle le conseil de Jean Vilar : « jouer sans pudeur en faisant confiance au texte de Victor Hugo ».
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+À vingt ans, Hugo publie les Odes, recueil qui laisse déjà entrevoir, chez le jeune écrivain, les thèmes hugoliens récurrents : le monde contemporain, l'Histoire, la religion et le rôle du poète, notamment. Par la suite, il se fait de moins en moins classique, de plus en plus romantique, et Hugo séduit le jeune lecteur de son temps au fil des éditions successives des Odes (quatre éditions entre 1822 et 1828).
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+En 1828, Hugo réunit sous le titre Odes et Ballades toute sa production poétique antérieure. Fresques historiques, évocation de l'enfance ; la forme est encore convenue, sans doute, mais le jeune romantique prend déjà des libertés avec le mètre et la tradition poétique. Cet ensemble permet en outre de percevoir les prémices d'une évolution qui durera toute sa vie : le chrétien convaincu s'y montre peu à peu plus tolérant, son monarchisme qui se fait moins rigide et accorde une place importante à la toute récente épopée napoléonienne ; de plus, loin d'esquiver son double héritage paternel (napoléonien) et maternel (royaliste), le poète s'y confronte, et s'applique à mettre en scène les contraires (ce que l'on appelle l'antithèse hugolienne) pour mieux les dépasser :
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+« Les siècles, tour à tour, ces gigantesques frères,
+Différents par leur sort, semblables en leurs vœux,
+Trouvent un but pareil par des routes contraires[172]. »
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+Puis Hugo s'éloigne dans son œuvre des préoccupations politiques immédiates auxquelles il préfère — un temps — l'art pour l'art. Il se lance dans Les Orientales (l'Orient est un thème en vogue) en 1829 (l'année du Dernier jour d'un condamné).
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+Le succès est important, sa renommée de poète romantique assurée et surtout, son style s'affirme nettement tandis qu'il met en scène la guerre d'indépendance de la Grèce (le choix de présenter l'exemple de ces peuples qui se débarrassent de leurs rois n'est pas innocent dans le contexte politique français) qui inspira également Lord Byron ou Delacroix.
+
+Dès les Feuilles d'automne (1832), les Chants du crépuscule (1835) Les Voix intérieures (1837), jusqu'au recueil les Rayons et les Ombres (1840), se dessinent les thèmes majeurs d'une poésie encore lyrique — le poète est une « âme aux mille voix » qui s'adresse à la femme, à Dieu, aux amis, à la Nature et enfin (avec les Chants du crépuscule) aux puissants qui sont comptables des injustices de ce monde.
+
+Ces poésies touchent le public parce qu'elles abordent avec une apparente simplicité des thèmes familiers ; pourtant, Hugo ne peut résister à son goût pour l'épique et le grand. Ainsi, on peut lire, dès le début des Feuilles d'automne, les vers :
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+« Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte
+Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte »
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+À partir de l'exil commence une période de création littéraire qui est considérée comme la plus riche, la plus originale et la plus puissante de l'œuvre de Victor Hugo. C'est alors que naîtront certains de ses plus grands poèmes[t].
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+Les Châtiments sont des vers de combat qui ont pour mission, en 1853, de rendre public le « crime » du « misérable » Napoléon III : le coup d'État du 2 décembre. Prophète des malheurs qui attendent Napoléon III, exécuteur du neveu honni, Hugo s'y fait cruel, satirique, voire grossier (« pourceau dans le cloaque »[173]) pour châtier « le criminel »[174]. Mais Hugo se fait aussi poète de temps meilleurs comme dans Stella ; le poète prend alors des tons quasiment religieux. Quant à la forme des Châtiments, elle est d'une extrême richesse puisque Hugo recourt aussi bien à la fable, qu'à l'épopée, à la chanson ou à l'élégie, etc.
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+1856 est l’année des Contemplations. Hugo déclare : « Qu'est-ce que les Contemplations ? [...] Les Mémoires d'une âme[175]. » A son éditeur Hetzel, il écrivait le 31 mai 1855 : « Il faut frapper un grand coup et je prends mon parti. Comme Napoléon (Ier), je fais donner ma réserve. Je vide mes légions sur le champ de bataille. Ce que je gardais à part moi, je le donne, pour que les Contemplations soient mon œuvre de poésie la plus complète. Mon premier volume aura 4 500 vers, le second 5 000, près de 10 000 vers en tout. Les Châtiments n’en avaient que 7 000. Je n’ai encore bâti sur mon sable que des Giseh ; il est temps de construire Chéops ; les Contemplations seront ma grande Pyramide[176]. »
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+Le succès est phénoménal. Le recueil sort le 23 avril 1856, tiré à 3 000 exemplaires. Dès le lendemain, Paul Meurice demande à Hugo l’autorisation de procéder à un nouveau tirage, ce qui se fait le 20 mai, à nouveau à 3 000. Entre-temps les premiers droits d’auteur permettent à Hugo d’acheter sa maison de Hauteville-House à Guernesey[177].
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+Apothéose lyrique, marquée par l'exil à Guernesey et la mort (cf. Pauca Meae) de la fille adorée : exil affectif, exil politique : Hugo part à la découverte solitaire du moi et de l'univers. Le poète, tout comme dans Les Châtiments, se fait même prophète, voix de l'au-delà, voyant des secrets de la vie après la mort et qui tente de percer les secrets des desseins divins. Mais, dans le même temps, les Contemplations, au lyrisme amoureux et sensuel, contient certains des plus célèbres poèmes inspirés par Juliette Drouet. On y trouve également Demain, dès l’aube et les vers où il se représente en révolutionnaire de la littérature : « […] sur l’Académie, aïeule et douairière, / […] je fis souffler un vent révolutionnaire. / Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire[178]. » Les Contemplations : œuvre multiforme donc comme il convient aux « mémoires d'une âme »[u].
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+Enfin, La Légende des siècles, son chef-d'œuvre, synthétise l'histoire du monde en une grande épopée parue en 1859 ; « L'homme montant des ténèbres à l'Idéal »[179],[180], c'est-à-dire la lente et douloureuse ascension de l'humanité vers le Progrès et la Lumière[181]. Baudelaire, qui eut parfois la dent dure contre Hugo, a fait un commentaire très élogieux du recueil en admirant « avec quelle majesté il a fait défiler les siècles devant nous, comme des fantômes qui sortiraient d'un mur ; avec quelle autorité il les a fait se mouvoir, chacun doué de son parfait costume, de son vrai visage, de sa sincère allure »[182].
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+Tantôt lyrique, tantôt épique, Hugo est présent sur tous les fronts et dans tous les genres: il a profondément ému ses contemporains, exaspéré les puissants et inspiré les plus grands poètes.
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+Victor Hugo était convaincu que « l’élargissement de la civilisation » européenne au reste du monde amenait la littérature à s’adresser à tous les hommes et que donc « les conditions, jadis étroites, de goût et de langue » n’avaient plus de raison d’être. « En France, explique-t-il à l’éditeur italien des Misérables, certains critiques m’ont reproché, à ma grande joie, d’être en dehors de ce qu’ils appellent le goût français ; je voudrais que cet éloge fût mérité »[183].
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+Ainsi que le rappelle Simone de Beauvoir : « Son 79e anniversaire fut célébré comme une fête nationale : 600 000 personnes défilèrent sous ses fenêtres, on lui avait dressé un arc de triomphe. L'avenue d'Eylau fut peu après baptisée avenue Victor-Hugo et il y eut un nouveau défilé en son honneur le 14 juillet. Même la bourgeoisie s'était ralliée […] »[184].
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+Victor Hugo a beaucoup voyagé jusqu'en 1871. De ses voyages, il rapporte des carnets de dessins et des notes[186],[187]. On peut ainsi citer le récit d'un voyage fait à Genève et dans les Alpes avec Charles Nodier[188]. Il part aussi chaque année pour un voyage d'un mois avec Juliette Drouet découvrir une région de France ou d'Europe et en revient avec notes et dessins[112]. De trois voyages sur le Rhin (1838, 1839, 1840), il rapporte un recueil de lettres, notes et dessins publié en 1842 et complété en 1845[189]. Pendant les années 1860, il traverse plusieurs fois le Grand-Duché de Luxembourg comme touriste, alors qu'il se rend sur le Rhin allemand (1862, 1863, 1864, 1865). De retour à Paris en 1871, il cesse de voyager[186].
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+Aux nombreux talents de l'écrivain, il faut ajouter le dessin. Le dessinateur n'a certes pas éclipsé le poète, mais on continue néanmoins de redécouvrir le travail pictural de Victor Hugo — auquel on a consacré de nombreuses et prestigieuses expositions (lors du centenaire de sa mort, en 1985, « Soleil d'Encre » au Petit Palais et « Dessins de Victor Hugo » place des Vosges dans la maison qu'il habita sous la Monarchie de Juillet ; mais aussi, plus récemment, à New York, Venise, Bruxelles, ou Madrid).
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+En bon autodidacte, Hugo n'hésite pas à utiliser les méthodes les plus rustiques ou expérimentales : il mélange à l'encre le café noir, le charbon, la suie de cheminée, le jus de mûre, l'oignon brûlé, la cendre de cigare, du dentifrice, peignant du bout de l'allumette ou au moyen des barbes d'une plume.
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+Ses œuvres sont, en général, de petite taille et il s'en sert tantôt pour illustrer ses écrits (Les Travailleurs de la mer), tantôt pour les envoyer à ses amis pour le jour de l'an ou à d'autres occasions. Cet art, qu'il pratiquera toute sa vie, le divertit.
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+Au début, ses travaux sont de facture plutôt réaliste ; mais avec l'exil et la confrontation mystique du poète avec la mer, ils acquerront une dimension presque fantastique[v],[190].
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+Cette facette du talent de Hugo n'échappera pas à ses contemporains et lui vaudra les louanges de, notamment, Charles Baudelaire : « Je n'ai pas trouvé chez les exposants du Salon la magnifique imagination qui coule dans les dessins de Victor Hugo comme le mystère dans le ciel. Je parle de ses dessins à l'encre de Chine, car il est trop évident qu'en poésie, notre poète est le roi des paysagistes »[191]. Théophile Gautier dit de Hugo que lorsqu’il « voyage, il crayonne tout ce qui le frappe, […] puis le soir, à l’auberge, il retrace son trait à la plume, […] y met des vigueurs, un effet toujours hardiment choisi ; et le croquis informe poché à la hâte sur le genou ou sur le fond du chapeau, souvent à travers les cahots de la voiture ou le roulis du bateau de passe, devient un dessin assez semblable à une eau forte, d’un caprice et d’un ragoût à surprendre les artistes eux-mêmes »[192].
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+Un certain nombre des dessins de Victor Hugo ont été gravés et publiés de son vivant, en particulier Dessins de Victor Hugo en 1863, préfacé par Théophile Gautier, et en tant qu'illustrations de ses œuvres littéraires (Les Travailleurs de la mer et Le Rhin)[193].
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+En outre, Edmond de Goncourt rapporte que Georges, le petit-fils de Victor Hugo, lui avoua l’existence d’une vingtaine de dessins que son grand-père avaient faits de ses conquêtes à Guernesey, « des dessins d’un faire très détaillé, très naturiste, aux crayons de couleur indiquant la nuance d’une jarretière, d’un corset, vingt dessins érotiques de femmes sans tête »[194].
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+À Gray, musée Baron-Martin : Titre non indiqué ("L'Abbaye" en ruines), gravure, 13 × 19 cm.
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+Crépuscule (Jersey 1853-1855).
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+Ville avec le pont de Tumbledown (1847).
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+Le Rocher de l'Ermitage dans un paysage imaginaire.
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+Pieuvre avec les initiales V. H. (1866).
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+Vallée de l'Our près de Bivels, Luxembourg (1871).
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+Le phare des Casquets.
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+Gravure du dessin Orient (1860) pour le récit de Notre Dame de Paris.
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+L’invention du daguerréotype en 1839 suscita un engouement pour la photographie auquel Victor Hugo prit part. Il comprit vite que ce nouvel art allait prendre le dessus sur « la lourde et inepte et pâteuse lithographie qu’il faut tuer par les mains de sa sœur […], la photographie »[195].
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+En décembre 1852, le républicain et photographe Edmond Bacot vient à Jersey rendre visite au proscrit et en profite pour prendre de lui plusieurs photographies. Hugo fait installer dans sa serre de Marine Terrace un atelier qui sera utilisé jusqu’à son départ en 1855[196].
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+Vers la fin de 1852, Charles Hugo, fils de Victor, s’initie à la photographie auprès d’un dénommé Sabatier. En mars 1853, il se rend à Caen pour se perfectionner dans l’atelier de Bacot. Il commence par des daguerréotypes puis s’essaie au calotype de l’Anglais Talbot, qui facilite la reproduction, mais leur préfère finalement la technique sur support en verre au collodion humide. Le 2 juin 1853, il fait de son père un portrait souvent repris. D’ailleurs, Hugo affirme à son éditeur Hetzel : « Charles en effet est devenu un excellent photographe » et, faisant preuve de son sens habituel des affaires, il lui suggère de commercialiser son portrait : « Quand ce serait vendu, vous prélèveriez votre commission, et vous enverriez ici l’argent. Ce serait une corde de plus à l’arc de tout le monde »[197]. Toujours au même Hetzel, il déclare : « C’est la révolution photographique que nous voulons faire »[198].
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+Ces images contribuent à la notoriété du poète proscrit, et certaines deviennent iconiques, notamment celles où il apparaît juché sur les rochers, le regard rivé sur les côtes de France. Hugo accompagne parfois ses lettres de portraits de lui, offerts à Flaubert, par exemple ou à Dumas père.
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+Les portraits d’autres exilés sont recueillies dans divers albums, dont quelques-uns sont des œuvres d’art, tel l’album éponyme Allix qui fixe l’amitié des Hugo pour Augustine Allix. Hugo dessinateur utilise des photographies comme inspiration pour ses dessins ou les associe à des collages. Il est question également de composer un ouvrage constitué de clichés des îles de la Manche : de très nombreuses photos sont prises, mais le projet n’aboutira pas.
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+En 1855, Hugo s’installe à Guernesey et achète Hauteville House l’année suivante. En novembre 1859, l’atelier-fumoir accueille un cabinet noir. En 1860, les photographes Leballeur et Auzou sont invités à réaliser des vues stéréotypiques de la maison ; d’autres, comme Arsène Garnier de Guernesey à partir de 1866[199] et Mulling de Jersey travaillent auprès du poète ; le fidèle Bacot est là également, en particulier de 28 juin au 15 juillet 1862, période durant laquelle il réalise cinquante-sept clichés de la maison et des occupants[200].
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+En 1862, à Bruxelles, Hugo fait la connaissance de Félix Tournachon, alias Nadar. Celui-ci, avec son frère et son fils, ont laissé de nombreux portraits du Hugo vieillard, comme celle du poète sur son lit de mort (photographié également par Étienne Carjat et Bertall) pour en assurer ensuite la diffusion.
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+Hugo aura à cœur de rassembler les photos des êtres chers, présents et disparus : petits-enfants ou son épouse sur son lit de mort ; celles des lieux empreints de souvenirs gais ou douloureux, que ce soit la place Royale où il habita, la tombe de Léopoldine à Villequier.
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+Il apparaît clairement que Victor Hugo avait une conscience aiguë que la photographie pouvait jouer un rôle considérable pour établir son image de banni courageux fidèle à son pays, et contribuer dans le même temps à la promotion de son œuvre en offrant à ses lecteurs le visage de son auteur — proscrit inconsolable mais déterminé, penseur profond, beau et sage vieillard[201].
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+Son ami intime Richard Lesclide affirme qu’il n’y a jamais eu de piano chez Victor Hugo. Il ajoute que celui-ci goûtait peu la compagnie des musiciens, qui étaient donc peu souvent invités.
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+Chaque année Hugo recevait de France ou de l’étranger des centaines de demandes d’autorisation pour mettre ses poèmes en musique. Elles étaient acceptées à condition de limiter le nombre de poésies à trois et de reverser les droits d’auteur aux nécessiteux. Il écrivit aussi un livret extrait de Notre-Dame de Paris qui donna lieu à un opéra La Esmeralda, créé en novembre 1836 : ce fut un échec[202].
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+Victor Hugo plaçait les musiciens allemands au-dessus des poètes et professait pour Beethoven et Gluck la plus grande admiration, qu’il considérait comme les égaux d’Eschyle et de Michel-Ange. En revanche, il considérait Mozart « inférieur à Gluck, comme Rubens à Rembrandt, comme Raphaël à Michel-Ange, comme Racine à Corneille et à Molière ». En décembre 1840, lors du retour des cendres de Napoléon, on joua le Requiem de Mozart qui, dit-il, n’émut guère la foule. « Belle musique, déjà ridée. Hélas, la musique se ride ; c’est à peine un art »[203]. Quant à Rossini, il ne lui inspirait que dédain. Lorsque Lucrèce Borgia est donnée à la Porte-Saint-Martin le 2 février 1833, le directeur du théâtre obtient de Victor Hugo l’autorisation d’insérer de la musique à l’entrée et à la sortie des personnages, ainsi qu’aux moments les plus dramatiques. D’ailleurs, « MM. Berlioz et Meyerbeer, dit le poète, m’ont proposé de faire la musique de la chanson du dernier acte. » Mais son interlocuteur se récrie, car ces deux-là « n’y entendent rien. Ce sont de grands musiciens. Il n’en faut pas », et Alexandre Piccinni est finalement choisi. Celui-ci ayant quelque difficulté à mettre en musique la chanson finale, Victor Hugo entonna les paroles, tout en avouant plus tard « [n’avoir] jamais su ce que c’est qu’une note »[204].
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+Le 16 décembre 1856, Hugo demande à Paul Meurice de faire savoir qu’il s’oppose à toute représentation de Rigoletto, l’opéra de Verdi inspiré du Roi s’amuse. Devant l’échec de cette démarche, il intente un procès au Théâtre des Italiens pour plagiat. Il est débouté en janvier 1857.
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+De Delacroix, Victor Hugo dit un jour, comme cela est rapporté par son fils, Charles : « Il a toutes [les qualités] moins une ; il lui manque ce qu’ont toujours cherché et trouvé les artistes suprêmes, peintres ou poètes – la beauté. » Il ajoutait que dans toute son œuvre, on ne trouvait pas une seule femme vraiment belle, à l’exception des anges que Hugo voyait féminins dans le Christ au Jardin des Oliviers ; d’une femme en buste (sans préciser laquelle) des Scènes des massacres de Scio. Selon lui, les personnages féminins de Delacroix se caractérisent par ce qu’il qualifie, en un oxymore osé, de « laideur exquise », comme l'illustre en particulier les Femmes d'Alger dans leur appartement »[205].
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+En tout état de cause, le peintre français est bien inférieur à Michel-Ange dont il admire La Nuit et les séraphins du Jugement dernier ; au Rembrandt de La Ronde de nuit et de L'Archange Raphaël quittant la famille de Tobie. Au-dessous de ces deux peintres en qui il voit « deux maîtres inaccessibles », il place Léonard de Vinci, auteur de la Joconde ; Le Corrège dont l’Antiope lui apparaît comme un chef-d’œuvre ; le Titien, Murillo. La Descente de Croix de Rubens, l’Allégorie de la Fécondité par Jacob Jordaens, la Vierge du chancelier Rolin de Van Eyck sont également des tableaux de son musée imaginaire. Il reproche à Raphaël d’être le peintre de « la beauté froide » à qui il manque l’expression. Si l’on cherche « le type éternel de la beauté », il faut aller vers Watteau ou Paul Véronèse, mais assurément pas vers Delacroix, car les femmes qu’il représente « sont peut-être l’idéal d’Eugène Delacroix », mais « pas une n’est l’idéal de l’esprit humain ».
+
+Il affirme enfin que l’idéal de l’art est atteint lorsque le peintre, comme tout autre artiste, sait lier le beau et le vrai, s’il ajoute dans son œuvre « une idée de progrès », s’il fait en somme « un chef-d’œuvre utile ; s’il n’a pas simplement pour effet d’éblouir mais d’éclairer »[206].
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+À partir de 1849, Victor Hugo consacre un tiers de son œuvre à la politique, un tiers à la religion et le dernier à la philosophie humaine et sociale. La pensée de Victor Hugo est complexe et parfois déroutante. On pourrait dire que l’analyse qu’il fait des questions politiques et sociales repose sur une loi qui régit, selon lui, la nature entière : « Rien n’est solitaire, tout est solidaire[207]. » S'il refuse toute condamnation des personnes et tout manichéisme, il n'en est pas moins sévère pour la société de son temps. Au fur et à mesure, sa pensée politique va évoluer, quitter le conservatisme et se rapprocher du réformisme[w],[208].
+
+Victor Hugo a rassemblé une grande partie de sa pensée politique dans Actes et Paroles dont il fait paraître en 1875-1876 une première édition en trois volumes intitulés respectivement Avant l’exil, qui couvre la période 1841-1851 ; Pendant l’exil pour les années 1852-1870 ; Depuis l’exil, qui traite des années qui ont suivi son retour en France entre 1870 et 1876. En 1889, est publiée une édition posthume, Actes et Paroles IV, Depuis l’exil, 1876-1885 [209].
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+Comme le fait remarquer Jean-Claude Fizaine dans l’édition citée en référence, l’exil apparaît comme le point nodal du parcours politique de Victor Hugo. Autour de cette expérience de la proscription, la trame de ses souvenirs autobiographiques compose avec la chaîne de ses réflexions une représentation claire de son engagement humaniste.
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+Avant l’exil permet de suivre son parcours depuis son élection à l’Académie française en 1841, jusqu’à sa fuite de France en passant par sa nomination comme Pair de France en 1845. On l’entend réclamer la liberté de la presse, du théâtre et de l’enseignement, ainsi que l’abolition de la peine de mort.
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+Pendant l’exil recueille ses discours, publiés dans le journal l’Homme, édités en brochures, imprimés par affiches. Il y réclame le respect du Droit, décliné sous diverses formes : le droit à la liberté, au respect de la vie humaine, à la souveraineté des peuples, et les droits humains.
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+Depuis l’exil (Tome III) rassemble la parole d’un sage et d’un prophète dont la presse ne manque pas de se faire l’écho : appel aux Allemands, aux Français, aux Parisiens pendant la guerre de 1870, réflexions sur la condition sociale de l’enfant et de la femme, expression de son optimisme sur l’avenir de l’Europe, appel à la paix.
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+Depuis l’exil (Tome IV) est le testament du sénateur Hugo qui accueille à son domicile les représentants de la gauche sénatoriale et qui poursuit son combat pour l’amnistie des Communards, pour la colonisation, pour la civilisation et la paix étendues au genre humain, contre le cléricalisme et le despotisme.
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+Hugo s’est vu reprocher son opportunisme politique : de fait, d’ultraroyaliste il devient représentant de la droite conservatrice, en passant par le libéralisme ; réformiste, il se rallie à la Monarchie de Juillet, puis devient partisan du Duc d’Orléans, soutient ensuite Louis-Napoléon Bonaparte pour appeler aux armes contre lui trois ans plus tard ; enfin, voilà qu’il rejoint les rangs de la gauche [210]. Lui-même reconnaît devant Paul Stapfer qu’il a « parcouru presque toute la gamme des opinions politiques possibles. » Il se souvient avoir un jour lancé à la Chambre des pairs : « La logique veut la république, mais la raison veut la monarchie » et de ne pas avoir été républicain avant 1849. Il ajoute qu’il a raconté tout le développement de [sa] pensée dans la pièce des Contemplations (Livre V, En marche, II) intitulée « Écrit en 1846 » qui commence par ce vers : « Marquis, je m’en souviens, vous veniez chez ma mère./Vous me faisiez parfois réciter ma grammaire[211]. »
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+Henri Guillemin lui fait cependant crédit de n’avoir pas varié sur l’essentiel depuis son éloignement des conservateurs en 1849 jusqu’à sa mort. Hugo écrit lui-même en octobre 1830 : « Mauvais éloge d’un homme que de dire : son opinion n’a pas varié depuis quarante ans . C’est dire que pour lui il n’y a eu ni expérience [...], ni réflexion, ni repli de la pensée sur les faits. [...] Rien n’est absolu dans les choses politiques, excepté la moralité intérieure de ces choses. [...] L’opinion d’un homme peut donc changer honorablement, pourvu que sa conscience ne change pas »[212].Guillemin note par ailleurs que passer de la droite à la gauche, quand tant d’autres opèrent le mouvement inverse, est un fait assez rare pour être apprécié à sa juste valeur.
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+Guillemin soupçonne même que le Hugo encore adolescent qui s’exclame « je veux être Chateaubriand ou rien », à l’époque où ce dernier s’implique plus en politique qu’en littérature, a en tête une carrière du même ordre.
+Cependant, Hugo, fils d’un général de Napoléon et d’extraction relativement modeste, a bien compris qu’il lui fallait d’abord s’insinuer dans les cercles du pouvoir pour atteindre à cette réussite sociale et financière qu’il convoite. Ce n’est qu’ensuite qu’il aurait la liberté de pouvoir s’exprimer plus librement.
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+Ses premières inclinations politiques – pro-vendéennes – ont mûri sous l’influence de sa mère, d’où la remarque du père : « Laissons faire le temps. L’enfant est de l’opinion de la mère, l’homme sera de l’opinion du père[213]. » Ainsi, dans un de ses premiers poèmes, Le télégraphe (1819, il affuble Napoléon de qualificatifs tels que « le Corse », « despote », « Attila ». À Louis XVIII, il fait don de son sang : « Sire, il est tout à vous, vous pouvez le verser[214].» (1819) Il tient à poursuivre son ascension : en 1822 et 1823, il accepte une pension royale ; Charles X le nomme chevalier de la Légion d'honneur en 1825[215] ; il affiche son titre de baron à la naissance de son fils en 1828 ; il est promu officier de la Légion d’Honneur en 1837 ; il se démène pour entrer à l’Académie – ce qui est chose faite le 7 janvier 1841 ; il est nommé pair de France en 1845. Il est trop tôt, pense-t-il en 1832, pour une république : « [...] Sachons attendre. La république [...] en Europe, ce sera la couronne de nos cheveux blancs. Mais il ne faut pas souffrir que des goujats barbouillent de rouge notre drapeau [216]. » Notons toutefois qu’il reste effectivement fidèle à sa conscience. En janvier 1822, un ami condamné à mort pour complot républicain est recherché par la police : Hugo propose à la mère, malgré les risques qu’il encourt, d’héberger son fils. En 1831, il publie un hymne en hommage « Aux martyrs ! Aux vaillants ! Aux forts ! » tués par la troupe pendant les Trois Glorieuses[217],[218]. Dans son essai Sur Mirabeau de 1834, il écrit : « La révolution française a ouvert pour toutes les théories sociales un livre immense, une sorte de grand testament. Mirabeau y a écrit son mot, Robespierre le sien, Napoléon le sien. Louis XVIII y a fait une rature. Charles X a déchiré la page[219]. »
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+Il partage le luxe aux côtés des grands, et souligne que le peuple, qui a « un esprit d’enfant, [...] ne se dit pas que ce luxe le fait vivre, [...]. » Il le regarde « avec son envie ». Toutefois, il prophétise en 1847 : « ceci est plein de périls [220]. »
+La question sociale ne cesse de le tourmenter. En novembre 1845, il se lance dans l’écriture des Misérables. Après les journées révolutionnaires du 23 au 25 février 1848, Louis-Philippe n’est plus roi et Hugo cesse d’être pair. Pourtant, pas de rancune et alors même qu’il se méfie de ce socialisme « qui, sous prétexte de distribuer à tous le bien-être, ôte à chacun sa liberté[221]», il approuve les premières mesures prises par le gouvernement provisoire : suffrage universel, reconnaissance de la liberté de la presse, peine de mort et esclavage abolis.
+Il refuse le portefeuille de ministre de l’Instruction publique que lui propose Lamartine : respect du serment de fidélité que l’ancien pair a prêté au roi déchu. Le 4 juin, il est élu député de Paris, pour une république de la civilisation et non de la terreur comme le proclame son affiche électorale[222]. Le 24 juin, il commande l’assaut de barricades, faisant montre d’un courage indéniable. Dans une lettre qu’il envoie à Antoine Sénard [223], président de l’Assemblée nationale en juin 1848, Arsène de Cey raconte comment, ce jour-là, un homme bientôt reconnu pour être Victor Hugo, apostrophe les soldats, se place sans arme sous le feu des émeutiers, répond lorsqu’on lui dit qu’il va se faire tuer : « Je suis là pour cela » et, à la tête de ses hommes, enlève plusieurs barricades qu’il démonte de ses propres mains [224]. Toutefois, si Victor Hugo est partisan du rétablissement de l’ordre, il dénonce les atrocités commises au nom de la répression. Lorsque le général Cavaignac et Louis-Bonaparte se présentent à la présidence de la République, Hugo soutient ce dernier, non par opportunisme mais parce que Cavaignac a été le grand ordonnateur des massacres. Hugo veut également croire aux promesses que le prince enfermé au fort de Ham a consignées dans son ouvrage De l'extinction du paupérisme : « Aujourd’hui le but de tout gouvernement habile doit être de tendre par ses efforts à ce qu’on puisse dire bientôt : le triomphe du christianisme a détruit l’esclavage ; le triomphe de la révolution française a détruit le servage ; le triomphe des idées démocratiques a détruit le paupérisme ! »[225]
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+Hugo est réélu en mai 1849 sur une liste de la droite conservatrice, et pour autant son combat humaniste ne dévie pas, même lorsqu’il harangue l’Assemblée sur la nécessité de soulager la misère du peuple et qu’il est rageusement chahuté sur les bancs de la droite [226]. Trois mois plus tard, il s’indigne contre l’envoi de troupes à Rome sous prétexte de venir en aide aux républicains italiens pour finalement rétablir le Pape dans tous ses pouvoirs. Le 15 janvier 1850, il se dresse pour défendre l’enseignement laïque : « Je ne veux pas vous confier l’enseignement de la jeunesse [...], c’est-à-dire l’avenir de la France parce que vous le confier c’est vous le livrer [227]. »
+Le Journal des débats ne s’y trompe pas et fait le portrait au vitriol d’un Victor Hugo dont la « pensée a toujours été socialiste[228]. » Mais lui ne s’arrête pas là, devient de plus en plus virulent, comme en janvier 1850 lorsque l’Assemblée instaure la déportation applicable aux condamnés politiques : « Ah ! c’est monstrueux ! [...] ce que vous appelez une justice, je l’appelle un assassinat ! » [229].
+Dans ses carnets de 1850, il imagine un dialogue où il assume son utopisme : « Je veux un système d’impôts qui ne dépouille pas le pauvre. – Vous êtes un ennemi de la propriété. – Je veux la suppression de la guerre. – Vous êtes un ennemi de l’humanité. – Je veux l’abolition de la peine de mort. – Vous êtes un buveur de sang. » Il rejette la société qui se profile : « La guérite vous guette et le confessionnal vous espionne » [230].
+Louis-Bonaparte souhaite une révision de la Constitution qui permettrait sa réélection. Le 17 juillet, Hugo se lance dans une diatribe sanglante dans laquelle il accuse le président de chercher à rétablir la monarchie : « Quoi ! après Auguste, Augustule ! Quoi ! parce que nous avons eu Napoléon le Grand, il faut que nous ayons Napoléon le Petit ! » [231].
+
+Le 2 décembre 1851 a lieu le coup d’État. Victor Hugo entreprend d’organiser la résistance, mais il est déjà trop tard et un représentant du peuple l’en dissuade[232].
+Il s’enfuit et ne regrette rien. Au dos d’une lettre en date du 10 décembre, il s’engage à ne pas déserter les rangs des résistants : « Le jour où il n’y en aurait plus que dix, je serai dans les dix ; le jour où il n’y en aura plus qu’un, ce sera moi » [233]. Il sait que la chute annonce le renouveau : « Oui, il est bon d’être tombé »[234]. Et les difficultés de l’exil n’y changeront rien : « J’aime la pauvreté, j’aime l’adversité, j’aime tout ce que je souffre pour la liberté, pour la patrie et pour le droit, j’ai la conscience joyeuse » [235]. Sa vision humaniste demeure. En février 1854, lors du banquet anniversaire du 24 février 1848, il clame sa foi en l’avenir : « Le chômage rendu impossible, [...], suffrage universel, bien-être universel, paix universelle, [...] plus de misère pour l’homme, plus de prostitution pour la femme, plus d’ignorance pour l’enfant » [236]. Et quelle évolution ! Dans ses carnets de 1847, il appuie sa réflexion sur la religion et déclare : « Le peuple [...] ne réfléchit pas que les inégalités de cette vie prouvent l’égalité de l’autre » [237]. Les années ont passé, et l’ironie est désormais grinçante : « Résignons-nous, les uns ont froid, d’autres ont chaud ;/Je mange, vous jeûnez ? C’est une loi d’En-Haut » [238]. L’Empereur lui accorde l’amnistie en août 1859 ? Il rejette avec mépris « cette effronterie » qui veut que « le coupable pardonne aux innocents » [239]. Il ne rentre en France que 19 ans plus tard, le 5 septembre 1870.
+Élu député en février 1871, il est acclamé par la foule lorsqu’il vient siéger. À la présidence de la gauche radicale, il travaille à l’union des gauches, mais échoue. Il renonce alors à sa fonction, puis démissionne de l���Assemblée devant l’impossibilité de s’exprimer librement contre le projet d’annulation de l’élection de Garibaldi en Algérie. En juillet 1871, deux mois après la fin de la Commune, il se représente comme candidat de la gauche et est battu. Idem en janvier 1872. Le 30 janvier 1876, il devient sénateur et le restera jusqu’à sa mort. Le 3 juillet 1880, il prononce son dernier discours de sénateur en faveur d’une amnistie des Communards condamnés.
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+Dans sa jeunesse, Victor Hugo est proche du parti conservateur. Pendant la restauration, il soutient Charles X. En cela, il s'inscrit dans la ligne politique de Chateaubriand.
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+Lors de la Révolution française de 1848, Victor Hugo, pair de France, prend d'abord la défense de la monarchie (le président du Conseil Odilon Barrot, le charge de défendre l'idée d'une régence de la Duchesse d'Orléans). Le 25 février, dans une conversation avec Lamartine, il s’interroge sur le bien-fondé d’une république : « La République est, à mon avis, le seul gouvernement rationnel, le seul digne des nations. […] Mais son heure est-elle venue en France ? C’est parce que je veux la République que je la veux viable, que je la veux définitive[240]. » Une fois la république proclamée, Lamartine lui propose un poste de ministre (Instruction publique) dans le gouvernement provisoire de 1848, mais il refuse. Lors des élections d'avril 1848, bien que non-candidat, il obtient près de 55 500 voix à Paris, mais n'est pas élu. Par contre, aux élections complémentaires du 24 mai, il est élu à Paris avec près de 87 000 voix. Il siège avec la droite conservatrice. Pendant les Journées de Juin 1848, il mène des groupes de forces gouvernementales à l'assaut des barricades dans la rue Saint-Louis. Il vote la loi du 9 août 1848, qui suspend certains journaux républicains en vertu de l'état de siège. Ses fils fondent le journal l’Événement qui mène campagne contre le président du conseil, le républicain Cavaignac, et soutiendra la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à l'élection présidentielle de décembre 1848.
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+Étant contre le principe de l'Assemblée législative unique, il ne vote pas la Constitution de 1848. Au début de la présidence de Louis Napoléon Bonaparte, il fréquente le nouveau président. En mai 1849, il est élu à l'Assemblée législative. C'est à l'été 1849, que progressivement, il se détourne de la majorité conservatrice de l'Assemblée législative dont il désapprouve la politique réactionnaire. En janvier 1850, Victor Hugo combat la loi Falloux réorganisant l'enseignement en faveur de l'Église catholique romaine ; en mai, il combat la loi qui restreint le suffrage universel et, en juillet, il intervient contre la loi Rouher qui limite la liberté de la presse[241]. Une des phrases les plus célèbres lancée par Hugo lors de cette législature (prononcée le 8 avril 1851) est « Ce gouvernement, je le caractérise d’un mot : Police partout, justice nulle part. »[242]. En juillet 1851, il prend position contre la loi qui prévoit la révision de la Constitution afin de permettre la réélection de Louis-Napoléon Bonaparte. En juin 1851, au palais de Justice de Paris, il défend son fils qui est poursuivi pour avoir publié un article contre la peine de mort dans son journal, L'Événement[243]. Au soir du coup d'État du 2 décembre 1851, avec une soixantaine de représentants, il rédige un appel à la résistance armée[244]. Poursuivi, il parvient à passer en Belgique le 14 décembre. C'est le début d'un long exil.
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+Dès lors réformiste, il souhaite changer la société. S'il justifie l'enrichissement, il dénonce violemment le système d'inégalité sociale. Il est contre les riches capitalisant leurs gains sans les réinjecter dans la production : l'élite bourgeoise ne le lui pardonnera pas. Hugo lui-même rapporte, en 1871, après la Commune, les insultes à son égard qu’il lisait dans la presse, voire la haine qui le poursuivait jusqu’à l’île de Guernesey : « Un pur catholique français a dit », raconte-t-il dans Choses vues, le 1er septembre 1872 « — Si j’avais Victor Hugo et Garibaldi, là dans mon champ, au bout de mon fusil, je les tuerais comme des chiens. » De même, il s'oppose à la violence si celle-ci s'exerce contre un pouvoir démocratique, mais il la justifie (conformément d'ailleurs à la déclaration des droits de l'homme) contre un pouvoir illégitime. C'est ainsi qu'en 1851, il lance un appel aux armes[245] — « Charger son fusil et se tenir prêt » — qui n'est pas entendu. Il maintient cette position jusqu'en 1870. Quand éclate la guerre franco-allemande, Hugo la condamne : il s'agit pour lui d'une guerre de « caprice »[246] et non de liberté. Puis, l'Empire est renversé et la guerre continue, contre la République ; le plaidoyer de Hugo en faveur de la fraternisation reste sans réponse. Alors, le 17 septembre, le patriote prend le pas sur le pacifiste : il publie cette fois un appel à la levée en masse et à la résistance. Les élections du 8 février 1871 portent au pouvoir les monarchistes partisans de la paix avec Bismarck. Le peuple de Paris, quant à lui, refuse la défaite et la Commune commence le 18 mars. Apprenant les événements de cette journée, il écrit dans son journal : « Thiers, en voulant reprendre les canons de Belleville, a été fin là où il fallait être profond. Il a jeté l’étincelle sur la poudrière. Thiers, c’est l’étourderie préméditée »[247]. On s'arrache Les Châtiments.
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+En accord avec lui-même, Hugo ne pouvait être communard :
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+« Ce que représente la Commune est immense, elle pourrait faire de grandes choses, elle n'en fait que des petites. Et des petites choses qui sont des choses odieuses, c'est lamentable. Entendons-nous, je suis un homme de révolution. J'accepte donc les grandes nécessités, à une seule condition : c'est qu'elles soient la confirmation des principes et non leur ébranlement. Toute ma pensée oscille entre ces deux pôles : « civilisation-révolution ». La construction d'une société égalitaire ne saurait découler que d'une recomposition de la société libérale elle-même[248]. »
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+Depuis Bruxelles où il était allé s'installer, il renvoie dos à dos la Commune et le gouvernement d'Adolphe Thiers. Il écrit ainsi le 9 avril 1871 :
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+« Bref, cette Commune est aussi idiote que l’Assemblée est féroce. Des deux côtés, folie. Mais la France et la République s’en tireront[249]. »
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+Devant la répression qui s'abat sur les communards, le poète dit son dégoût et prend leur défense :
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+« Des bandits ont tué soixante-quatre otages. On réplique en tuant six mille prisonniers[250] ! »
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+Victor Hugo dénonce dans le journal belge l’Indépendance du 27 mai 1871 le refus du gouvernement d’accorder l’asile aux communards vaincus. Le soir même, une foule d’une soixantaine d’hommes tente de pénétrer de force dans la maison de l’auteur aux cris de « À mort Victor Hugo ! À la potence ! À mort le brigand ! »[251].
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+Victor Hugo défend également la demande de grâce de Louis Rossel, le seul officier supérieur rallié à la Commune dont il est le ministre délégué à Guerre et qui sera exécuté le 28 novembre 1871. En septembre, il rend visite au Président de la République Adolphe Thiers pour adoucir les conditions d’exécution de la peine à laquelle est soumise le journaliste et ancien membre du Gouvernement de la Défense nationale Henri Rochefort[252]. Il en profite pour attirer l’attention de Thiers sur les atrocités commises et la nécessité de brider l’armée. À plusieurs reprises, il réconforte Rochefort dans sa prison. Le 22 mai 1876, Victor Hugo demande au Sénat de voter l’amnistie des communards survivants[253].
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+Victor Hugo a correspondu avec Louise Michel et l'a soutenue, qui fut déportée en Nouvelle-Calédonie à la suite de sa participation à la Commune. Il lui dédia un poème Viro Major[254]. Il reste de cette relation épistolaire entre 1850 et 1879 une grande partie des lettres de Louise Michel à Victor Hugo qui ont fait l'objet de publications ultérieures[255].
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+Victor Hugo a pris des positions sociales très tranchées, et très en avance sur son époque. Son chef-d'œuvre, Les Misérables est un hymne à la misère et aux plus démunis, indispensable « tant qu'il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale [...] »[256].
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+Dénonçant jusqu'à la fin la ségrégation sociale, Hugo déclare lors de la dernière réunion publique qu'il préside, le 3 août 1879, à Paris : « La question sociale reste. Elle est terrible, mais elle est simple, c'est la question de ceux qui ont et de ceux qui n'ont pas ! ». Il s'agissait précisément de récolter des fonds pour permettre à 126 délégués ouvriers de se rendre au premier Congrès socialiste de France, à Marseille. Et alors même qu’il est l’objet d’attaques, comme indiqué plus haut, il gardera foi en sa mission : « J’ai été populaire, je ne le suis plus. […]. Je suis né royaliste ; j’ai été pair de France, je prie matin et soir ; je crois en Dieu ; il paraît que je suis vicomte. C’est égal, peuple, aime-moi ou ne m’aime pas, je t’aime »[257].
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+Hugo est un farouche abolitionniste. Dans son enfance, il a assisté à des exécutions capitales et toute sa vie, il luttera contre ce châtiment. Le Dernier Jour d'un condamné (1829) et Claude Gueux (1834), deux romans de jeunesse, soulignent à la fois la cruauté, l'injustice et l'inefficacité du châtiment suprême. Mais la littérature ne suffit pas, Hugo le sait. Chambre des Pairs, Assemblée, Sénat : Victor Hugo saisira toutes les tribunes pour défendre l'abolition comme dans son discours du 15 septembre 1848.
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+« [...] Messieurs, il y a trois choses qui sont à Dieu et qui n'appartiennent pas à l'homme : l'irrévocable, l'irréparable, l'indissoluble. Malheur à l'homme s'il les introduit dans ses lois. Tôt ou tard elles font plier la société sous leurs poids, elles dérangent l'équilibre nécessaire des lois et des mœurs, elles ôtent à la justice humaine ses proportions ; et alors il arrive ceci, réfléchissez-y, messieurs, que la loi épouvante la conscience [...] »
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+— Discours de Victor Hugo devant l'Assemblée constituante, 15 septembre 1848.
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+Victor Hugo, qui a écrit qu’« une guerre entre Européens est une guerre civile »[258], a fréquemment défendu[259] l'idée de la création des États-Unis d'Europe. Ainsi, dès 1849, au congrès de la paix, il lance :
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+« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes, nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne, absolument comme la Normandie, la Bretagne, la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, toutes nos provinces, se sont fondues dans la France. Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées. - Un jour viendra où les boulets et les bombes seront remplacés par les votes, par le suffrage universel des peuples, par le vénérable arbitrage d'un grand sénat souverain qui sera à l'Europe ce que le parlement est à l'Angleterre, ce que la diète est à l'Allemagne, ce que l'Assemblée législative est à la France[260] ! »
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+Victor Hugo conçoit une Europe axée sur le Rhin, lieu d'échanges culturels et commerciaux entre la France et Allemagne qui serait le noyau central de ces États-Unis d'Europe[x]. Il se désole de constater que l’antipathie entre les deux pays n’est que la conséquence de manœuvres diplomatiques menées par l’Angleterre et la Russie pour affaiblir la France ; de l’inquiétude que suscite une France modèle de liberté, de justice et de droit des peuples ; de l’opposition de la Prusse[261]. Il présente une Europe des peuples par opposition à l'Europe des rois, sous forme d'une confédération d'États avec des peuples unis par le suffrage universel et l'abolition de la peine de mort[262].
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+L'idée n'est pas neuve, elle fut défendue avant lui par Saint-Simon, Guizot et Auguste Comte[263],[262], mais Victor Hugo en fut un de ses plus ardents défenseurs à une époque où l'histoire s'y prête peu. Considéré comme visionnaire ou fou[263], Victor Hugo reconnaît les obstacles qui entravent cette grande idée et précise même qu'il faudra peut-être une guerre ou une révolution pour y accéder[264].
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+Mais il croyait si fermement à cette idée d’une fédération européenne qu’il tint à lui donner corps : « Il y a trois jours, le 14 juillet, [ …] je plantais dans mon jardin de Hauteville-House le chêne des États-Unis d’Europe »[265]. Arbre que l’on peut voir aujourd’hui encore.
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+Il souhaite pour l’Europe à venir la création d’une monnaie unique : « Une monnaie continentale, à double base métallique et fiduciaire, ayant pour point d’appui le capital Europe tout entier et pour moteur l’activité libre de deux cents millions d’hommes, cette monnaie, une, remplacerait et résorberait toutes les absurdes variétés monétaires d’aujourd’hui [...]. [266] »
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+Victor Hugo s'est peu exprimé sur la question de la colonisation de l'Algérie, qui a constitué pourtant la principale aventure coloniale de la France de son époque. Ce silence relatif ne doit pourtant pas être trop rapidement assimilé à un acquiescement inconditionnel de la part de l'auteur des Misérables. Dans les années 1840-1850, il s’enthousiasma devant la conquête d’une contrée qui avait été « le grenier des Romains ». La France en Afrique lui semble « chose heureuse et grande » car « c’est la civilisation qui marche sur la barbarie. C’est un peuple éclairé qui va trouver un peuple dans la nuit ». Il n’y a en lui aucun doute : « Nous sommes les Grecs du monde ; c’est à nous d’illuminer le monde »[267],[268]. Toutefois, une analyse attentive de ses écrits — et de ses silences — montre qu'à propos de la « question algérienne » ses positions furent loin d'être dénuées d'ambiguïtés : sceptique à l'égard des vertus civilisatrices de la « pacification » militaire, il vit également dans l'Algérie colonisée le lieu où l'armée française s'est « faite tigre », et où les résistants au coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte ont été déportés[269]. Le 16 avril 1847, il écrit au ministre de la Guerre, Alexandre Moline de Saint-Yon, pour dénoncer les tortures pratiquées par l'armée[64].
+
+Sur la question de l'esclavage, celui qui, dans les années 1820, montrait à travers Bug-Jargal qu'il partageait dans sa vision des peuples noirs les mêmes préjugés que ses contemporains, et qui garda un silence étonnant lors de l'abolition de l'esclavage en 1848[270], devait intervenir pour demander la grâce de l'abolitionniste radical américain John Brown[271] et soutenir la révolution haïtienne : « Il n’y a sur la terre ni blancs ni noirs, il y a des esprits »[272]. Notons que l'évocation des méfaits de son personnage Thénardier, le parvenu des Misérables n'oublie pas en fin d'ouvrage la traite des Noirs. Thénardier avec l'argent de Marius donné à titre de remerciement s'installa en Amérique où il devint « négrier ».
+
+Il dénonce également avec vigueur, dans une lettre écrite en 1861, le pillage de l'Ancien Palais d'Été de Pékin par les Français et les Anglais, lors de la seconde guerre de l'opium[273].
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+En 1882, Victor Hugo accepte d'être président d'honneur de la Ligue française pour le droit des femmes, héritière de l'Association pour le droit des femmes, association féministe fondée par Léon Richer[274]. La question de l'égalité des droits des hommes et des femmes avait été déjà traitée quelques années plus tôt dans le dernier chapitre de Quatrevingt-treize.
+
+Victor Hugo fut tenant du droit d’auteur et de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques tout en reconnaissant l'importance de l'accès de tous au savoir :
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+« Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous[275]. »
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+Victor Hugo a prononcé pendant sa carrière politique plusieurs grands discours ; la plupart d'entre eux sont regroupés dans Actes et paroles :
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+Selon Alain Decaux[279], Victor Hugo, élevé par un père franc-maçon et une mère qui n'est jamais entrée dans une église, se construit une foi profonde, mais personnelle.
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+« Dieu est. Je suis plus sûr de son existence que de la mienne », affirme-t-il à Paul Stapfer venu lui rendre visite à Guernesey [280].
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+Il rejette tout autant le rationalisme que le dogmatisme religieux, aussi bornés l’un que l’autre : « Ta petite raison comme ton petit temple/Ne sont pas des maisons où tienne l’Éternel[281]. »
+
+Il déclara avoir voulu débarrasser la religion des « pantalonnades » du dogme qui prétend nous faire admettre « qu’un pigeon puisse féconder une femme, qu’une femme puisse être mère et vierge, et que trois fassent un, » en ajoutant : « Quelle bizarre religion qu’une religion que les femmes ne pourraient expliquer sans rougir ! »[282].
+
+Victor Hugo n'a jamais été baptisé, a tenté l'expérience d'un confesseur, mais finit sa vie en refusant l'oraison des églises. Il reproche à l'Église le carcan dans lequel celle-ci enferme la foi. Alain Decaux cite[279], à ce sujet, cette phrase prononcée par Olympio : « Les dogmes et les pratiques sont des lunettes qui font voir l’étoile aux vues courtes. Moi je vois Dieu à l’œil nu ». Son anticléricalisme transparaît dans ses écrits comme Religions et religion[283], La fin de Satan, Dieu, Le pape, Torquemada, ainsi que dans son adhésion à des mouvements anticléricaux[284]. Il est notamment l'auteur de la phrase « L’Église chez elle et l’État chez lui » prononcée le 14 janvier 1850 à l'Assemblée nationale afin de marquer son profond attachement à la laïcité[285]
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+Victor Hugo reste cependant profondément croyant, il croit en un Dieu souffrant et compatissant[286], en un Dieu force infinie créatrice de l'univers[279], à l'immortalité de l'âme et la réincarnation[287]. Paul Stapfer a transcrit une conversation qu’il a eue en décembre 1870 avec Hugo sur l’immortalité de l’âme. Hugo lui affirme « je sais que je suis immortel », mais lui explique également qu’il croit en une immortalité « conditionnelle ». Il entend par là une immortalité « réservée aux âmes qui s’en sont montrées dignes, toutes les autres retournant à ce néant auquel elles n’ont pas cessé d’appartenir ». Les âmes indignes sont celles d’hommes qui n’auront rien laissé d’utile derrière eux, « qui n’ont vécu que pour leur ventre » et qui donc mourront tout entiers et retourneront à « la terre sur laquelle ils ont rampé un instant[288].» Il prie chaque jour, matin et soir, persuadé, comme il l’écrit dans L’Homme qui rit, que « l’action de grâces a des ailes et va où elle doit aller. Votre prière en sait plus long que vous. » La mort de Léopoldine provoque un regain dans sa quête de spiritualité[279] et lui inspire les Contemplations.
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+La quête spirituelle de Victor Hugo l'entraîne à explorer d'autres voies que le catholicisme. Il lit le Coran[279], s'intéresse au druidisme, critique les religions orientales[289] et expérimente le spiritisme. Comme Balzac et malgré les nombreuses différences entre les visions du monde et de la littérature des « deux plus grands hommes du temps »[290], Hugo considère que le principe swedenborgien de correspondance unit l'esprit et la matière[291]. Selon lui, bien des phénomènes étranges restent inexpliqués, mais « rien de tout cela n'est surnaturel ; c'est de la nature, inconnue »[292].
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+Victor Hugo se trouve en exil sur l'île de Jersey lorsque son amie Delphine de Girardin, qui se sait condamnée, l'initie en 1853 aux tables tournantes. Cette pratique issue du spiritualisme anglo-saxon, vise à tenter d'entrer en communication avec les morts. Hugo, pour qui les poètes sont également des voyants, est ouvert à ce genre de phénomènes. Ces expériences sont consignées dans Le Livre des tables. Durant deux ans, ses proches et lui interrogent les tables, s'émeuvent à l'idée de la présence possible de Léopoldine et enregistrent des communications d'esprits très divers, dont Jésus, Caïn, Dante, Shakespeare ainsi que des entités telles la Mort, la Bouche d'Ombre, Le Drame ou la Critique. S'ébauche ainsi une nouvelle religion dépassant le christianisme et englobant la métempsycose[293]. Selon le docteur Jean de Mutigny, ces séances presque quotidiennes de tables tournantes révèlent une paraphrénie fantastique qui se retrouve dans les œuvres ultérieures de Victor Hugo, notamment le poème Ce que dit la bouche d'ombre des Contemplations[294].
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+Ses carnets multiplient les annotations sur les bruits nocturnes, les frappements, les fracas, les voix murmurant à son oreille. Il affiche ses convictions concernant la survie de l'âme en déclarant publiquement : Ceux que nous pleurons ne sont pas les absents, ce sont les invisibles[295]. Lors de l'enterrement de l'écrivain, cette phrase est inscrite sur une couronne de fleurs portée par une délégation de la Société Scientifique du Spiritisme qui considérait que Victor Hugo en avait été un porte-parole[296]. Mais l'expérience spirite n'a été qu'un moment dans la quête par Hugo d'une vérité et ce moment a été dépassé[réf. nécessaire] par d'autres recherches[Lesquelles ?] « à la poursuite du vrai ».
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+Son testament, lapidaire, se lit comme une profession de foi :
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+« Je donne cinquante mille francs aux pauvres.
+Je désire être porté au cimetière dans leur corbillard.
+Je refuse l'oraison de toutes les églises ; je demande une prière à toutes les âmes.
+Je crois en Dieu[296]. »
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+La lithographie, inventée en 1796, offre une facilité d’utilisation et une qualité qui ont séduit les caricaturistes [297]. Ceux-ci trouvent, dans la presse satirique en pleine expansion, le véhicule idéal de leurs œuvres [298]. Quelques artistes de talent ayant pour noms Daumier, Gill, Granville, Cham, Nadar, Roubaud, collaborent à des journaux républicains, tels Le Charivari, La Charge, La Mode, Le Journal pour rire, La Caricature. D’autres, dont le plus connu est Sarcus, dit Quillenbois, publient dans des journaux monarchistes, légitimistes, comme Le Caricaturiste [299]. Sous la Monarchie de Juillet, le Victor Hugo porte-étendard de la révolution littéraire va vite devenir un sujet de choix pour eux.
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+La vie privée de Victor Hugo n’a été que très rarement abordée. La mort de son fils Charles en 1871 est évoquée par Faustin[300]. Ses petits-enfants, rendus pourtant célébrissimes par les poèmes qui leur sont consacrés, restent dans l’ombre du grand homme [301]. Le Hugo, grand coureur de jupons et bigame n’est pas brocardé autant qu’on aurait pu s’y attendre. À la suite du décès de Juliette Drouet, une caricature fait allusion à son goût pour les très jeunes femmes avec une perfidie discrète [302], mais la liaison avec sa maîtresse de près de cinquante ans n'est pas évoquée par la presse.
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+Les portraits-charges de Hugo, dès les années 1830, témoignent d’un regard à la fois irrévérencieux et admiratif sur l’artiste convaincu de son génie, sûr de la justesse des ses théories littéraires et opiniâtre dans ses luttes. À partir des années 1860, le banni - prêt aux plus grands sacrifices pour la défense du droit acquiert une stature morale. C’est ainsi que Carjat le représente dans Le Drolatique du 29 juin 1867 – campé sur le rivage de l’exil, déterminé, le regard fixé dans les yeux du lecteur [303]. Après la publication en quatorze années seulement des Odes et Ballades, des Feuilles d’automne, des Chants du crépuscule, des Voix intérieures, du recueil les Rayons et les Ombres ; après le triomphe de Notre-Dame de Paris ; après les représentations d’Hernani, de Lucrèce Borgia, de le Roi s’amuse, des Burgraves, et d’autres œuvres encore, Victor Hugo a acquis le titre de maître incontesté du courant romantique. Aussi est-il représenté seul ou surdimensionné par rapport à ses collègues en littérature [304]. Puis, sous la Troisième République, il finit par être reconnu l’égal de tous ces écrivains entrés dans l’histoire, à l’instar de Voltaire, et l’acharnement d’un nouveau-venu appelé Zola à vouloir déboulonner la statue du maître est raillé par les caricaturistes [305] .
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+Son entrée en politique en 1848 comme député suscite la méfiance et une réputation d’opportunisme commence à lui être attachée. Les caricaturistes ne se privent pas d’ironiser sur le royaliste devenu admirateur de Napoléon puis soutien de Louis Napoléon Bonaparte pour finir républicain [306] . Pendant le Second Empire, sous couvert de célébrer Victor Hugo l’auteur immense, la presse rend hommage à Hugo l’indomptable proscrit. Même Daumier passe de la défiance à une admiration affichée dans sa célèbre lithographie où il représente l’aigle de Napoléon III écrasé sous les Châtiments [307] . Seuls les journaux royalistes – monarchistes ou légitimistes – et d’un catholicisme militant affichent leur hostilité au renégat de 1848 devenu adversaire de l'Église [308].
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+Le front gigantesque qui deviendra la signature visuelle de Hugo apparaît pour la première fois dans un dessin-charge de Michel Delaporte le 27 janvier 1833 [309]. Benjamin Roubaud, notamment, va fixer les traits distinctifs de la caricature en prolongeant le front d’une ample chevelure peignée en arrière, comme dans son Panthéon charivarique, qui a illustré des générations de manuels scolaires [310]. Daumier, quant à lui, accentue la posture du lutteur – tête baissée, bras croisés, visage fermé [311] . Selon le moment de sa carrière, le poète est souvent accompagné d’objets symboliques de son œuvre ou de son génie tels que la cathédrale de Paris, des piles de livres, des étendards, une lyre ; il se retrouve vêtu d’une toge. Il finit par être associé aux forces de la nature – le soleil, la mer avant d’entrer dans le panthéon terrestre et divin [312] .
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+Très tôt, Hugo choisit d’accepter l’image, quelle qu’elle puisse être, que la presse donne de lui. En avril 1832, il confie à Antoine Fontaney : « Tout article est bon ! Pour bâtir votre monument, tout est bon ! Que les uns y apportent leur marbre, les autres leur moellon ! Rien n’est inutile[313] ! » D’ailleurs Hugo et Juliette Drouet furent longtemps abonnés au Charivari dont ils se plaisaient à découper certains articles et dessins [314]. On connaît une lettre que Hugo écrit à Balzac pour le prier d’empêcher la parution d’un article particulièrement acerbe à la suite de son discours de réception à l’Académie française, mais il semble ne s’être jamais opposé à la publication de portraits-charges [315].
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+Dans les dessins de la presse censurée de la Restauration, le Victor Hugo « chef de la jeune école littéraire, bonapartiste et libérale » occupe peu de place [316]. La première représentation iconographique, qui date du 15 mai 1830, imagine le tombeau du poète en 1930 : sa tombe écrase de sa masse celles des Dumas, Musset, Sainte Beuve, Vigny[317] . La Révolution de Juillet apporte une certaine libéralisation – même si une loi de 1835 interdit les caricatures politiques. Après la bataille d’Hernani et l’écriture de sa préface pour Cromwell, les journaux ne se privent pas de caricaturer « la plus forte tête romantique », pour reprendre le titre d’une lithographie de Roubaud [318]. On retrouve alors systématiquement les traits contractés d’une volonté inflexible sous un front gigantesque. Les caricaturistes retracent les échecs répétés de l’auteur dans sa candidature à l’Académie française. En 1841, l’année même où Hugo finit par se voir agréé, Roubaud le montre en Gulliver assis sur ses œuvres, adossé à Notre-Dame de Paris, les pieds posés sur le Théâtre-Français et l’Académie, tandis que des Lilliputiens tentent en vain de le faire chuter [319]. Dans une autre illustration, parmi les plus célèbres, intitulée « Grand chemin de la postérité », il apparaît, monté sur Pégase, brandissant une oriflamme marquée des mots « Le laid, c’est le beau », que suit le cortège de ses admirateurs [320]. Les dessinateurs ne se privent pas, évidemment, d’étriller l’Académicien imbu de sa personne ou l’auteur des Burgraves et son succès mitigé [321] .
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+Victor Hugo soutient la candidature de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Le Charivari, La Silhouette, La Revue comique, le Journal pour rire moquent ce cernier revirement et sa déception supposée de ne pas faire partie du nouveau gouvernement [322]. En mai 1849, Hugo est élu député et siège sur les bancs des conservateurs majoritaires. On ironise sur les convictions et les discours de l’homme politique. En légende de bandeaux dessinés présentant quelques députés, Nadar parle de Hugo et de son « opposition en trompe-l’œil », propriétaire d’un « grand magasin » spécialisé en « vanités, emphases et boursouflures de premier choix. [323]» Daumier aussi, dans le Charivari, cible le « plus sombre de tous les grands hommes graves » dans une caricature d’anthologie [324] . Hugo n’est pas épargné non plus lors du Congrès international de la paix. Plus que sa foi en des « États Unis d’Europe », Daumier retient la grandiloquence des propos et des attitudes des participants venus célébrer le culte du maître [325]. En revanche, lorsqu'il s’oppose avec virulence au parti clérical et à la loi Falloux votée en mars 1850, Daumier et Nadar ne cachent pas leur approbation [326]. D’autant que Hugo doit alors affronter les journaux et leurs dessinateurs qui vitupèrent contre le franc-maçon (qu’il n’a jamais été), le charlatan opportuniste, le destructeur des valeurs morales [327].
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+Le coup d’État du 2 décembre 1851 fait de Hugo un proscrit dont la censure veille à effacer le nom.
+La publication du pamphlet Napoléon le Petit en 1852 et des Châtiments l’année suivante oblige les journaux et leurs dessinateurs à la plus grande prudence. Ils contournent l’interdit en ne mentionnant pas son nom et en célébrant l’auteur glorieux, et jamais l’opposant politique [328]. Dans les années qui suivent, la parution de la Légende des siècles (1859), des Misérables (1862), des Travailleurs de la mer (1866), le retour triomphal d’Hernani sur la scène en 1867 vont être autant d’occasions de rappeler aux lecteurs la présence à la fois lointaine et toujours vivante du plus grand des Français. En outre, si la censure veille à faire taire les caricaturistes, ceux-ci n’en continuent pas moins d’exprimer leur admiration dans le courrier qu’ils adressent au « maître auguste et bien vénéré » comme l’écrit Gill [329]. La libéralisation du régime qui s’opère au tournant des années 1860 - avec en 1859 la loi d’amnistie, en 1860 la modification de la constitution et en 1862 les plus grands pouvoirs accordés aux corps législatifs - libère la parole des journaux et des dessinateurs qu’ils emploient. Les portraits de Victor Hugo revêtu d’une armure, porteur d’un étendard, face à la mer qui le sépare de son pays, sont aussi la représentation à peine déguisée du champion de la liberté bafouée [330],[331]. Il est à noter également que les portraits de Hugo deviennent moins caricaturaux et ne conservent que le trait emblématique du front immense [332]. La loi sur la presse du 11 mai 1868 continue d’alléger la pression des autorités sur la presse qui, dès lors, se sent encore plus libre de mettre en une le portrait du banni vénéré dans le monde entier.
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+Le 5 septembre 1870, Victor Hugo est de retour à Paris après 19 ans d’exil.
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+Le 20 octobre, Hetzel publie la première édition française des Châtiments. Le succès est immense et les artistes opposent alors le triomphe de l’œuvre et de l’homme à la déchéance de l’empereur. Daumier, sur ce thème, produit l’image iconique de l’aigle impérial écrasé sous le volume des Châtiments [333] L’évolution iconographique apparaît nettement dans les dessins de Gill qui penche de plus en plus vers une célébration glorieuse, voire une déification de l’homme [334]. Dans La Lune Rousse du 8 mars 1877, l’article de première page déclame : « Le poète d’autrefois avait la beauté sublime d’un héros ; le poète d’aujourd’hui a la beauté souveraine d’un dieu[335]. » Les 78 ans de l’auteur sont le prétexte à des hommages dithyrambiques illustrés, non de caricatures mais de véritables portraits [336]. Deux ans plus tard, ses 80 ans donnent lieu à nouveau à de nombreux dessins. L’un d’eux le représente, le visage encadré par les portraits de ses petits-enfants Jeanne et Georges [337]. Le défenseur infatigable du droit des Communards à l’amnistie, d’un réfugié russe à l’asile politique, de l’enseignement à s’affranchir de l’influence de l’Église suscite toujours chez les dessinateurs soit l’admiration soit la critique, si bien que Hugo est une figure récurrente dans la presse des années 1879-1880 [338].
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+Sa mort, on s’en doute, donne lieu à d’innombrables illustrations qui évoquent ses œuvres et ses combats. Un journal très critique de Hugo comme Le Triboulet lui rend à la fois un hommage de circonstance dans le dessin qu’il publie deux jours après le décès, tout en regrettant ses « défaillances séniles » [339].
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+Estimé par certains et critiqué par d'autres, Victor Hugo reste une figure de référence de son siècle[340].
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+Admirateur de Chateaubriand à qui il dédie plusieurs odes[341], il se détache peu à peu de son ancien maître qui lui reproche une littérature subversive[342]. Il entretient des relations d'estime et d'admiration mutuelles avec Balzac (un peu de méfiance, l'ego des grands créateurs y pourvoit), Nerval[291] et Vigny[343] et des relations d'amitié avec Dumas, son compagnon de romantisme, qui dureront, avec beaucoup de hauts et quelques bas, toute la vie[344]. La rivalité est plus exacerbée avec Lamartine, auquel Hugo ne cesse de proclamer son admiration, mais ne lui concède plus, le succès venant, de réelle prééminence artistique[345] et avec Musset qui lui reproche ses artifices et son engagement politique[346].
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+Il détient en Barbey d'Aurevilly[347], Gustave Planche[348], et Sainte-Beuve à partir de 1835[349], des adversaires tenaces et constants. Ainsi, Sainte-Beuve écrit dans ses carnets tenus entre 1834 et 1847 : « Hugo ne se corrigera jamais. […] Il pourra donner ainsi trente autres volumes, jusqu’à 80 ans […], mais il ne prouvera que sa fécondité et sa force récidivante. […] Sa poésie me fait plus que jamais l’effet d’une plante grasse, dont les fleurs d’une admirable couleur pourpre n’ont pas d’odeur, ou en ont une funeste »[350]. Dans Mes poisons, il concède que « Victor Hugo est un homme qui a des facultés extraordinaires et disproportionnées » et lui reconnaît cette qualité suprême : « Ce qu’il invente de faux et même d’absurde, il le fait être et paraître à tous les yeux »[351]. Les frères Goncourt restent des lecteurs très critiques[352] et George Sand une commentatrice très perspicace[353]. Mais il possède en Théophile Gautier un admirateur inconditionnel[354] que Victor Hugo soutiendra jusqu'à sa mort[355].
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+Les relations sont plus conflictuelles avec les admirateurs de la première heure, que Victor Hugo déçoit parfois par la suite et qui alternent éloges et critiques. Ainsi, le Baudelaire de 1859 s’exclame : « Nos voisins disent : Shakspeare [sic] et Goethe ! nous pouvons leur répondre : Victor Hugo et Théophile Gautier ! » tandis que celui de 1862 se montre publiquement dithyrambique sur Les Misérables, mais confie dans le même temps à sa mère qu’il trouve ce livre « immonde et inepte »[356]. Gustave Flaubert avoue à George Sand que « la philosophie d’Hugo lui semble toujours vague » mais il admirait le génie littéraire[357]. Le 15 juillet 1853, il lui écrivait : « Monsieur, vous avez été dans ma vie une obsession charmante, un long amour. »[358] Dans une lettre adressée à Louise Collet en septembre 1852, il affirme qu’en matière de grands auteurs : « Il n’y en a eu qu’un en ce siècle, c’est le père Hugo, [...] qu’il enfoncera tout le monde, quoiqu’il soit plein de mauvaises choses ; mais quel souffle! quel souffle ! [359]» Il est à noter que Victor Hugo apporta son soutien à Flaubert lors du procès pour outrage aux bonnes mœurs qui lui fut intenté après la publication de Madame Bovary et lui écrivit en avril 1857 : « Vous êtes un de ces hauts sommets que tous les coups frappent, mais qu’aucun n’abat »[360]. D'autres revendiquent leur filiation avec Victor Hugo tout en empruntant des voies qui leur sont propres, se détachant même du romantisme : Théodore de Banville[361] ; Leconte de Lisle[362], qui aurait dit, selon des propos rapportés à Hugo : « Victor Hugo est bête comme l'Himalaya »[363] ; Mallarmé[364] et Verlaine. Ce dernier ne cachait pas son admiration pour Hugo qu'il alla voir à Bruxelles et qui l'invita à dîner. En juillet 1890, il écrit : « […] Quelle grande figure et qu’avec tous ses défauts, c’est encore, avec Lamartine incomparablement plus poète certes, mais infiniment moins artiste, le Maître ! »[365].
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+L'étiquette d'auteur engagé que lui vaut son exil participe à sa notoriété, mais lui aliène l'estime de poètes comme Baudelaire[y], et provoque sa rupture avec Vigny, fidèle à l'empereur[366].
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+Dans la presse et les caricatures des années 1880, Zola est présenté comme un prétendant acharné au trône occupé par Victor Hugo[367]. Dans son ouvrage Le Roman expérimental, Zola écrit : « Si j’applaudis Victor Hugo comme poète, je le discute comme penseur, comme éducateur. Non seulement sa philosophie me paraît obscure, contradictoire, faite de sentiments et non de vérités ; mais encore je la trouve dangereuse, d’une détestable influence sur la génération, conduisant la jeunesse à tous les mensonges du lyrisme, aux détraquements cérébraux de l’exaltation romantique[368].»
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+Parmi les artistes, Delacroix porte le même regard critique sur « les Berlioz, les Hugo, tous ces réformateurs prétendus ». Selon lui, « le style d’Hugo […] n’a jamais approché de cent lieues de la vérité et de la simplicité »[369]. Et puis, il a ce mot incisif : « Les ouvrages d’Hugo ressemblent au brouillon d’un homme qui a du talent : il dit tout ce qui lui vient »[370].
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+Chez les auteurs étrangers, on ne peut oublier Heinrich Heine qui comparait Hugo à un bossu : « Je n’ai pas seulement en vue la manie de M. Victor Hugo de charger, dans ses romans et ses drames, le dos de ses héros principaux d’une bosse matérielle, mais je veux surtout insinuer ici qu’il est lui-même affligé d’une bosse morale qu’il porte dans l’esprit ». Quant à sa pièce Les Burgraves, il la qualifie d’« ouvrage indigeste », de « choucroute versifiée », ajoutant que cette « œuvre ne témoigne ni d’abondance d’imagination, ni d’harmonie, ni d’enthousiasme, ni de liberté de pensée ; elle ne renferme aucune étincelle de génie, au contraire il n’y a que de l’afféterie peu naturelle et de la déclamation bigarrée »[371].
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+Quand il retourne en France après l'exil, il est considéré comme le grand auteur qui a traversé le siècle et comme un défenseur de la république[372]. Les monarchistes ne pardonnent pas facilement à celui qui a trahi son milieu et si les républicains les plus à gauche doutent de sa conversion, il devient cependant un enjeu politique, adulé par la gauche républicaine qui organise pour l'anniversaire de ses 79 ans, une grande fête populaire[373]. Les jeunes poètes continuent de lui envoyer leurs vers – tandis que d'autres se montrent volontiers irrévérencieux.
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+« Hugo : l'Homme apocalyptique,
+L'Homme-Ceci-tûra-cela,
+Meurt, garde national épique ;
+Il n'en reste qu'un – celui-là »
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+— Tristan Corbière, « Un jeune qui s'en va », Les Amours jaunes (1873)
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+Ce culte hugolien exaspère ses pairs. Paul Lafargue écrit en 1885 son pamphlet La légende de Victor Hugo et Zola s'exclame :
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+« Victor Hugo est devenu une religion en littérature, une sorte de police pour le maintien du bon ordre […]. Être passé à l'état de religion nécessaire, quelle terrible fin pour le poète révolutionnaire de 1830[374]. »
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+Henri Guillemin nous rappelle que Victor Hugo était vierge lorsqu’il a épousé Adèle Foucher à l’âge de 20 ans. Dans son livre de souvenirs, Juana Richard-Lesclide rapporte que Hugo disait avoir honoré sa jeune épouse neuf fois durant leur nuit de noces du 12 octobre 1822[375]. Guillemin cite également ce mot de l’auteur, qu’il date des années 1828 : « L’homme a reçu de la nature une clef avec laquelle il remonte sa femme toutes les vingt-quatre heures ». De fait, il ne devait plus cesser de s’intéresser à certaines horloges, même si, vers la fin de sa vie, ses notes secrètes montrent qu’il était passé d’une pratique active aux plaisirs moins physiques de la vue et du toucher. En tout état de cause, Hugo met dans la bouche du truculent Goulatromba ces mots qui décrivent bien son propre comportement : « Vois-moi, j’ai ravagé les brunes et les blondes »[376].
+
+Hugo épouse Adèle Foucher en octobre 1822. Ils restent mariés près de 46 ans, jusqu’à ce qu’elle décède en août 1868. Elle le trompe avec le critique Sainte Beuve dès 1830. Toujours proscrit, Hugo ne peut accompagner le cercueil de sa femme jusqu’à Villequier, où elle avait souhaité être enterrée auprès de sa fille Léopoldine.
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+De février 1833 jusqu’à son décès en 1883, Juliette Drouet se dévoue à son amant, qui ne l’épouse pas, même après le décès de sa femme. Elle l’accompagne dans ses nombreux voyages à travers la France et à l'étranger.
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+En décembre 1851, Hugo est menacé d’arrestation. Elle lui fait connaître un certain Lanvin, ouvrier typographe, qui lui offre son passeport. Elle le fait ensuite héberger en cachette par des amis[377]. En 1860, Hugo lui dédicace les épreuves de La Légende des siècles et lui rend un hommage appuyé : « Si je n’ai pas été pris et, par conséquent, fusillé, si je suis vivant à cette heure, je le dois à Mme Juliette Drouet qui, au péril de sa propre liberté et de sa propre vie, m’a préservé de tous les pièges, a veillé sur moi sans relâche, m’a trouvé des asiles sûrs et m’a sauvé, avec quelle admirable intelligence, avec quel zèle, avec quelle héroïque bravoure, Dieu le sait et l’en récompensera[378] ! ».
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+Elle le suit dans son exil à Guernesey où Victor Hugo lui loue une maison, La Fallue, à proximité de la demeure familiale. Le 16 juin 1864, elle emménage à Hauteville-Fairy, que Hugo a fait décorer. Le 22 décembre de la même année, elle reçoit de Adèle Hugo une invitation au Noël que la famille organise au profit des enfants pauvres, ce qui est une façon d’officialiser cette liaison adultère[379].
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+Le 25 septembre 1870, pendant le siège de Paris, Victor Hugo s’attend au pire. Aussi laisse-t-il quelques instructions à ses enfants, dont celles-ci (l’orthographe est celle d’origine) :
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+« J.D
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+Elle m’a sauvé la vie en décembre 1851. Elle a subi pour moi l’exil. jamais son âme n’a quitté la mienne. que ceux qui m’ont aimé l’aiment. que ceux qui m’ont aimé la respectent.
+
+Elle est ma veuve.
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+V.H[380] »
+
+Elle lui a écrit quelque vingt mille lettres exprimant son amour immense et sa jalousie. Dans Les Misérables, Victor Hugo glisse une allusion très intime de leur vie amoureuse. La date du 16 février 1833, nuit de noces de Cosette et Marius (Cinquième partie, livre VI, chapitre I), fut aussi celle où Juliette se donna à Victor pour la première fois.
+
+L’entourage de Hugo dissuade celui-ci d’assister aux obsèques de sa maîtresse.
+
+En mars 1843, il fait la connaissance de Léonie D’Aunet, épouse du peintre Biard, et devient son amant le 1er avril 1844. Leur liaison se poursuivra pendant plus de 7 ans. Les deux amants sont surpris en flagrant délit d’adultère le 5 juillet 1845. Son statut de pair de France permet à Hugo d’échapper aux poursuites tandis que Léonie d’Aunet passe deux mois en prison et six au couvent. Bien des années après la fin de leur liaison, Victor Hugo continue d'aider financièrement son ancienne maîtresse.
+
+Les biographes renoncent à établir le compte des femmes avec lesquelles Victor Hugo a laissé libre cours à sa prodigieuse sensualité. Il tire avantage de l’ascendant que lui procurent sa célébrité, ses relations, sa fortune et son pouvoir auprès de courtisanes, prostituées, pasionarias, telles Louise Michel et autres communardes, jeunes comédiennes à la recherche d’un rôle, admiratrices, domestiques à son service. Victor Hugo, érotomane doublé de graphomane, note ses aventures sous forme codée – à la manière du diariste anglais Samuel Pepys. Ainsi, il se sert d’abréviations latines (osc. pour baisers), d’espagnol (Misma. Mismas cosas : la même. Mêmes choses) ; il recourt à l’homophonie (Saints pour seins, poële et poils), d’analogies qui lui sont propres (Suisses signifiant à nouveau les seins – Suisse étant associé au lait…)[381] ; il peut aussi dissimuler un prénom comme Laetitia en le faisant apparaître sous le mot « Joie », sens du mot laetitia en latin ; il use d’initiales : S.B. en novembre 1875 seraient celles de Sarah Bernhardt.
+
+Les débuts de Victor Hugo sont modestes. Celui qui a écrit « Qui n’est pas capable d’être pauvre n’est pas capable d’être libre » sait ce que c’est que d’avoir à gagner sa vie pour ne dépendre que de soi [382].
+
+D’ailleurs, Antoine Fontaney, le témoin ahuri des premières années de Victor Hugo littérateur reconnaît que vouloir gagner de l’argent n’a rien d’anormal pour un homme qui doit subvenir aux besoins de toute sa famille, sans pouvoir compter sur des biens familiaux ou des rentes, à l’instar des Lamartine, Vigny ou Musset. Hugo tente de l’expliquer à Armand Carrel, critique du quotidien Le National, dans une lettre du 15 mars 1830 : « l’Empire et la fortune m’ont manqué. Je me suis trouvé à vingt ans marié, père de famille, n’ayant pour tout bien que mon travail et vivant au jour le jour, comme un ouvrier, [...] obligé par le malheur des temps de faire à la fois une œuvre et une besogne.[383]»
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+Hugo le millionnaire, Hugo le pingre : les deux qualificatifs lui ont été associés de son vivant. Henri Guillemin nous dit qu’il fut chansonné pour sa ladrerie par Auguste de Châtillon, mais nous précise que ce personnage a lui-même bénéficié du secours financier de Hugo [384]. À la suite d'une anecdote qu’on lui a racontée sur le versement de certains droits d’auteur, un Goncourt écrit : « Hugo est rapace : on me l’avait déjà dit, je le vois[385].»
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+Dès 1831, Antoine Fontaney, un habitué de la rue Jean-Goujon, où loge la famille Hugo, est choqué de constater que l’argent est la préoccupation constante du jeune auteur. Il nous montre Hugo contrarié que le beau temps et la venue du Dey d’Alger vont entraîner une baisse de la recette escomptée pour sa pièce Marion Delorme. Il se rappelle en septembre l’inquiétude du même Hugo face aux troubles de Paris qui auront à nouveau un effet déplorable. Devant l’acharnement quotidien de Hugo à produire vers et prose à la chaîne, il s’écrie : « Quel fabricant ! Comme il calcule sa production ! »[386]
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+Cette réputation de cupidité et d’avarice le poursuivra toute sa vie, y compris au sein de son entourage le plus intime. Ainsi, en mars 1857, Juliette Drouet l’appelle « mon cher petit Harpagon [387]».
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+Bien des années plus tard, en 1871, le Moniteur universel lui consacre un article qui rappelle avec sarcasme que sa « générosité et sa munificence sont très connues, surtout dans le monde des lettres »[388].
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+Évidemment, cette propension à thésauriser est mise en regard de ses gains énormes. Ses fils lui reprochent de leur compter son aide, sa femme regimbe devant sa sévérité financière, elle qui aime tant les soirées mondaines. En 1880, Juliette Drouet se voit contrainte de lui écrire qu’elle ne lui demandera jamais plus que ne l’exigent ses besoins et la nécessité de bien présenter devant les invités qu’ils reçoivent[389].
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+L’ironie s’exprime aussi chez certains de ses confrères. Ainsi lors de la publication des Misérables, les Goncourt relèvent qu’il est « assez amusant de gagner deux cent mille francs […] à s’apitoyer sur les misères du peuple. »[390]
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+Dans une lettre à un anonyme écrite en 1845, Hugo confie : « Vous me croyez riche, monsieur ? Voici : Je travaille depuis vingt-huit ans, car j’ai commencé à quinze ans » [391], et il détaille le montant total de son épargne pendant cette période. On peut l’estimer, en se fondant sur les estimations données par Henri Guillemin réactualisées, à l’équivalent de quelque 2.569.688 euros[392]. Mais il doit faire vivre onze personnes, aussi ajoute-t-il : « Je porte des paletots de vingt-cinq francs, j’use un peu trop mes chapeaux, je travaille sans feu l’hiver, et je vais à la Chambre des pairs à pied, quelquefois avec des bottes qui prennent l’eau ».
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+C’est surtout à partir de 1870, avec la réédition régulière de ses œuvres, qu’il accumule une fortune que vient augmenter la vente des ouvrages plus récents. À leur sortie en 1862, Les Misérables lui avaient déjà rapporté plus de 2,5 millions d’euros. La première édition de Quatrevingt Treize, paru en 1873, lui rapporte environ 600 000 euros.
+À sa mort, il disposait d’environ 60 millions d’euros[393].
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+Hugo a fait fructifier sa fortune en préférant des placements sûrs, tels ses « consolidés anglais » mentionnés à diverses reprises dans ses carnets personnels. Toutefois, pour accumuler une telle somme, il s’est toujours fixé comme règle intangible de vivre sur les revenus de ses placements sans jamais toucher au capital. Il lui importe aussi de tenir un compte précis de ses dépenses et de ses dons.
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+Ses deux fils n’eurent jamais d’emploi digne de ce nom : il leur versait donc une allocation mensuelle de 1300 euros puis de 1700 euros[Combien ?]. Il fait à l’un et à l’autre des donations, comme cela apparaît dans plusieurs lettres [394]. Le journal des Goncourt rapporte que Charles n’hésitait pas à faire commerce des lettres qui lui écrivait son père, demandant même à ce dernier de les illustrer afin d’en tirer un bénéfice plus grand [395]. Au décès de Charles, en 1871, Hugo dut éponger les dettes énormes qu’il avait laissées [396].
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+En 1868, au décès de sa femme, il avait découvert qu’elle avait contracté pour 128.000 euros de dettes[394].
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+Quant à la veuve de Charles, qui se retrouva avec deux jeunes enfants, elle recevait de son beau-père près de 10000 euros mensuels[Combien ?] [389].
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+Pour sa fille Adèle, il avait provisionné un montant de 430 000 euros[Combien ?]. Ses carnets intimes témoignent, notamment en 1871, de l’aide qu’il lui envoya à la Barbade où elle avait suivi le lieutenant Pinson dont elle était éperdument amoureuse[397].
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+En remerciement à Juliette Drouet pour lui avoir sauvé la vie en 1851, il lui lègue près de 860 000 euros[Combien ?], qu'elle refuse[398].
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+On comprend mieux alors ces vers recueillis dans Océan « Pauvre père inquiet, travaille sans repos, /Porte de vieux habits, porte de vieux chapeaux, /[...]Fais pendant vingt-cinq ans la fourmi pour les tiens ; / les tiens, tous les premiers t’appelleront avare.»[399]
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+Hugo a très vite tenu à préserver son indépendance, ce qui par exemple, l’a conduit en 1829, après l’interdiction de Marion de Lorme, à refuser l’augmentation compensatoire de la pension que le roi Charles X lui versait. Même refus lorsque Abel-François Villemain, académicien et ministre de l’instruction publique, lui propose des bourses d’études pour l’éducation de ses fils [400].
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+Dans la même lettre à Armand Carrel, datée de 1830, citée plus haut, il se déclare fier de n'avoir pas d’autre moyen de subsistance que sa plume, et de l'avoir « maintenue pure de toute spéculation, libre de tout contrat mercantile ». [...] J’ai fait, dit-il, bien ou mal de la littérature, et jamais de la librairie. Pauvre, j’ai cultivé l’art comme un riche, pour l’art, avec plus de souci de l’avenir que du présent. [...] Je puis dire que jamais la besogne n’a taché l’œuvre ».
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+En 1866, Albert Millaud propose à Hugo de publier Les Travailleurs de la mer par épisodes dans son journal pour la somme colossale de quatre millions d’euros[Combien ?]. Hugo lui répond le 27 février 1866 : « [J’ai] la conviction que Les Travailleurs de la Mer ne sauraient se découper en feuilleton », [C’est] « ma conscience littéraire, [...] quelque regret que j’en puisse avoir, qui me force à baisser pudiquement les yeux devant un demi-million »[401].
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+Hugo tirait de ses œuvres des revenus importants, mais ses éditeurs n’étaient pas en reste. Ainsi, si Hugo a touché 300 000 francs pour Les Misérables, le contrat en prévoyait 517 000 pour Lacroix[387].
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+Henri Guillemin renvoie à une étude détaillée menée par l’Académicien Jacques de Lacretelle sur les relations d’affaires qui liaient Hugo et ses éditeurs et qu’il a publiée dans La Revue de France les 15 octobre et 1er novembre 1923. L’auteur souligne chez Hugo un « correction absolue », du « désintéressement », voire « une indulgence extrême. »[387]
+
+De fait, il cite un exemple parmi d’autres. L’année 1848 fut une année difficile pour l’édition, aussi Hugo offre-t-il à son éditeur (Duriez et Cie) de porter à onze ans au lieu de dix la durée de vente exclusive de ses œuvres complètes.
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+Toute sa vie, Hugo a consacré une part significative de ses revenus à la charité, soit par le biais d’œuvres ou de dons individuels. Pendant les années passées à Hauteville House, le tiers des dépenses annuelles passait dans les secours versés aux nécessiteux[394].
+
+Un repas hebdomadaire réunissait les enfants pauvres, dont le nombre est passé de huit à quarante ; Noël était l’occasion d’une réception, avec distribution de friandises et de cadeaux[402].
+
+Pour l’année terrible de 1870, Hugo fait l’addition des dons en argent qu’il a distribués : 35 000 euros, sans compter les représentations de ses œuvres qu’il autorise au bénéfice des malheureux[403].
+
+En 1871, il récapitule le montant des droits d’auteur auxquels il a renoncé : plus de 200 000 euros[403].
+
+Encore ne peut-il répondre à toutes les sollicitations, comme le rappelle son secrétaire Richard Lesclide[404]. Guillemin précise que les demandes d’aide adressées chaque semaine au maître représentaient plus de deux millions d’euros[389].
+
+Pour ses contemporains, de même que dans la mémoire collective, Victor Hugo, dont l’existence a traversé le siècle, apparaît comme un homme resté vigoureux et vert jusque dans ses dernières années.
+
+Néanmoins, l’enfant qui naît le vendredi 26 février 1802 est d’apparence si fragile que l’accoucheur affirme qu’il ne vivra guère. Adèle Foucher se souvient que sa belle-mère lui raconta souvent qu’il n’était « pas plus long qu’un couteau »[405].
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+Sa main portait une cicatrice depuis qu’à l’âge de quatre ans il avait été mordu par un chien à qui il donnait à manger.
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+À l’âge de neuf ans, sa vie à nouveau ne tint qu’à un fil lorsqu’en Espagne il fit une mauvaise chute au fond d’une excavation : sa tête frappa un rocher et il demeura un long moment évanoui avant que ses camarades de jeu ne le retrouvent[406]. Une légère cicatrice lui en resta au front. Une autre, profonde, marquait son genou des suites d'une chute. À l’hiver 1811, alors pensionnaire du « collège des nobles » à Madrid, le jeune Hugo contracta les oreillons qui le firent horriblement souffrir jusqu’à leur guérison obtenue en versant du lait de nourrice dans le conduit auditif… À son épouse, Hugo expliqua que les souffrances de cette époque dues au froid et à la faim lui avaient été salutaires et l’avaient « trempé »[407].
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+Dix ans plus tard, une fois encore, il échappa à la mort lorsqu’il provoqua en duel un soldat qui lui avait arraché un journal des mains : l’épée de son adversaire glissa sur sa poitrine et le toucha dans le bras gauche, sous l’épaule[408].
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+Hugo raconta qu’à l’époque des Feuilles d’automne, après Hernani, la haine qu’il suscitait lui valut un coup de fusil qui brisa la vitre de son bureau et manqua de le tuer, alors qu’il travaillait chez lui de nuit[409].
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+Victor Hugo mesurait 1,68 m. Mme Daudet fut d’abord « étonnée de sa petite taille » lorsqu’elle le rencontra pour la première fois, puis elle finit par le trouver « très grand, très intimidant »[410].
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+Plusieurs contemporains se souvenaient qu’il avait les yeux petits, « des prunelles d’aigle », disait Théophile Gautier, d’un bleu profond, selon Léon Daudet, et qui semblèrent très noirs à Jules Clarétie. Il avait une vue perçante qui stupéfia le journaliste Louis Ulbach lorsqu’un soir Victor Hugo, âgé alors d’environ 26 ans, fut à même de discerner d’une tour de Notre-Dame, des détails d’une précision étonnante[411].
+
+À la même époque, ce qui frappa rapidement les personnes qui croisaient Hugo — notamment Théophile Gauthier — c’était « le front vraiment monumental, […] d’une beauté et d’une ampleur surhumaine » qu’encadraient des cheveux châtain clair, un peu longs. Le visage, très pâle, ne portait ni barbe ni moustaches et était rasé de près. Les dents étaient d’un blanc éclatant[412]. Dans Océan, des fragments de vers tracent un autoportrait : « […] jeune encore – front haut / Un sourire assez doux corrige l’œil sévère »[413].
+
+Dans les années 1830, le visage s’arrondit au point qu’Henri Guillemin a pu parler de « commencements de bajoue ». Le même signale que Victor Hugo, dix ans plus tard, ne dédaigne pas se faire friser[414]. Il prend un soin extrême de sa personne. Le jeune poète Antoine Fontaney a noté comme « un spectacle des plus curieux « que d’observer Hugo prendre un temps très long à se raser, puis se livrer à des ablutions à l’eau de rose et finir par se verser un pot d’eau sur la tête[386].
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+Victor Hugo était un très grand marcheur et les quelques amis qui l’accompagnaient « y usaient leur souffle et leur jambes », nous dit Richard Lesclide[415]. Nombre de ses œuvres, ajoute-t-il, ont été en grande partie composées lors de ses promenades dans Paris ou dans la nature.
+
+En mars-avril 1842, il souffre d’une affection pulmonaire — peut-être une pleurésie, comme son fils Victor.
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+Le 20 mars 1844, alors qu’un convoi d’artillerie passe devant lui, un canon de plusieurs tonnes se détache pour venir tomber à ses pieds, manquant de l’écraser.
+
+Lors de la Révolution de 1848, il s'expose aux balles, notamment le 25 juin, et échappe par chance à une salve tirée par des insurgés retranchés derrière une barricade.
+
+À l’approche de la cinquantaine, alors qu’il part en exil, des poches marquées apparaissent sous les yeux.
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+Jules Clarétie raconte qu’à Jersey, alors qu’on l’avait cru atteint d’une affection cardiaque, Hugo s’était mis à l’équitation et se lançait à cheval dans de folles courses sur la grève, comment il se baignait tous les jours — parfois nu, comme le précise Richard Lesclide — et parcouraient des kilomètres à pied, qu’il pleuve ou qu’il neige. Avec cela, un sommeil de plomb[416].
+
+Fin de juin 1858, il contracte la maladie du charbon qui, en juillet, met sa vie en péril. Charles écrit à l’éditeur Hetzel que son père a souffert le martyre alors que son dos porte une plaie énorme. Le 27 juillet, encore très faible, il se met à son balcon pour rassurer Juliette Drouet. Il ne guérit qu’en octobre[417]. Hugo confia à Edmond de Goncourt, en février 1877, que cette maladie l’avait « cautérisé » et qu’il ne craignait plus les pluies qui le mouillaient jusqu’aux os, ni le froid, ni le chaud, qu’il avait le sentiment d’être « invulnérable ».
+
+En 1860, il décide de se laisser pousser la barbe, « pour voir, dit-il, si cela me protégera contre les maux de gorge »[418]. Le 24 janvier 1861, ses carnets révèlent sa conviction, contraire au diagnostic des médecins, d’être atteint d’une laryngite qui se transformera en phtisie[419]. Il rapporte à son fils François-Victor qu’on le trouve « très beau avec [sa] barbe », en ajoutant avec humour qu’elle le fait ressembler à un caniche.
+
+En septembre 1862, Banville en brosse le portrait suivant : « Les cheveux, qui sont redevenus presque longs, sont à la fois très drus et vivaces et extrêmement fins. Le visage est sanguin et robuste ; l’air vif de la mer, la bise glacée, les ardents soleils l’ont hâlé, bruni et vivifié. La barbe presque blanche ondule en larges masses. Le corps a pris un aspect herculéen. »[420]
+
+Dans les années qui suivent, la barbe devient broussailleuse jusqu’à ce qu’il décide de la ramener à une taille plus modeste en 1866.
+
+Jules Clarétie lui rend visite à Bruxelles en août : il note les cheveux longs, très blancs et hérissés ; il se souvient de « sa jolie main grasse » et de sa très forte poignée ; « sa voix était caressante, un peu criarde »[421]. Un an plus tard, c’est au tour de Verlaine de le rencontrer. Malgré « un nez un peu fort », il le trouve « positivement beau » avec ses « petits yeux restés pétillants, non sans malice », son teint coloré, ses bonnes dents, et sa peau peu ridée[422]. Judith Gautier se souvient de sa rencontre en octobre 1869, à Bruxelles : « Victor Hugo donne tout d'abord l'impression d'être un marin, un loup de mer avec sa barbe courte, ses cheveux blancs taillés en brosse, sa carrure robuste. Très simple, très affable, la voix bien timbrée, il a un sourire charmant, aux dents toutes petites, presque enfantin. »[423] En revanche, lorsque Edmond de Goncourt le revoit à Paris en décembre 1870, il lui apparaît vieilli, « paupières rouges, teint briqueté, la barbe et le cheveu en broussailles »[424].
+
+Nombreux sont ceux qui s’amusent de son appétit gargantuesque — Léon Daudet parle de sa « gloutonnerie ». Jules Clarétie rapporte que Hugo affirmait n’avoir jamais eu d’indigestion de toute sa vie et disait : « L’histoire naturelle connaît trois grands estomacs : le requin, le canard et Hugo. » Souvent, il l’a vu, après un repas copieux, manger une mandarine dans laquelle il avait enfoncé un morceau de sucre et croquer le tout, sans retirer ni la peau ni les pépins. Il appelait cela « le grog à la Hugo ». Plus étonnant encore, il l’avait vu, après ses courses dans le froid, avaler une cuillerée de goudron[416]. Édouard Lockroy, qui a épousé la veuve de son fils Charles, confirme, ainsi que son petit-fils George, cette étonnante voracité qui lui faisait manger les homards avec leur carapace et les oranges avec leur peau en expliquant : « C’est la carapace qui fait digérer le homard ; sans cela, il serait très lourd »[425].
+
+Richard Lesclide note qu’entre 1872 et 1874, Hugo était sujet à des insomnies, dont il tirait parti en écrivant au lit[426].
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+À 76 ans, il est toujours capable de monter les marches quatre à quatre devant Léon Gambetta, 36 ans plus jeune que lui. Et pourtant, dans la nuit du 27 au 28 juin 1878, cette force de la nature est victime d’une congestion cérébrale. Le docteur Germain Sée, qui l’a ausculté, déclare : « On ne m’eût pas nommé le sujet et l’on m'eût fait l’ausculter, le palper dans une chambre sans lumière, que j’aurais affirmé : « C’est là le corps d’un homme de quarante ans ! »[427].
+
+Quelque temps avant 1883, Mme Alphonse Daudet revoit Victor Hugo, lors d’un repas dans sa maison de l’avenue d’Eylau, qu’il habita de 1878 à 1883. Elle le trouve vieilli, un peu sourd.
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+Tous les matins, George et sa sœur Jeanne, les petits-enfants, venaient le saluer dans sa chambre. Dès son lever, il gobait un œuf cru, puis buvait un bol de café noir, sans sucre. Ensuite, il se lavait entièrement à l’eau froide et plongeait la tête dans une cuvette d’eau tout aussi froide ; il se nettoyait les dents avec une brosse en poils très durs ; il lissait ensuite longuement ses cheveux, puis brossait énergiquement sa barbe et délicatement sa moustache[428].
+
+Il gardait ses ongles longs, comme cela apparaît sur les photos de cette époque et sur un moulage de sa main droite conservée à San Francisco[429]. Quand elle lui en parlait, sa petite-fille Jeanne lui disait « tes griffes ».
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+Les informations données ci-dessous sont tirées du Petit Journal, qui offrit à ses lecteurs un compte rendu circonstancié de l’évolution de l’état de santé de « l’illustre malade ». Les articles insistent régulièrement sur la robustesse du patient, laquelle pouvait laisser espérer une issue heureuse. À l'exception du premier, les bulletins de santé émanent du Professeur Germain Sée, des docteurs Emile Allix et Alfred Vulpian[430].
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+Jeudi 14 mai - soir : Victor Hugo a été pris d'une indisposition qui, d'abord, a semblé légère, et qui s'est aggravée subitement. Victor Hugo, qui souffrait d'une lésion du cœur, a été atteint d'une congestion pulmonaire. Germain Sée, Emile Allix.
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+Bulletin mardi 19 mai - matin : La nuit a été relativement calme ; la respiration s'embarrassent de temps en temps, mais la congestion pulmonaire ne s'est pas aggravée.
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+Bulletin mardi 19 mai - fin d’après-midi : L'état ne s'est pas modifié d'une manière notable. De temps en temps, accès intenses d'oppression.
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+Bulletin - mercredi 20 mai - 9 h 30 matin : À la suite d'une violente oppression, il s'est manifesté cette nuit une syncope assez longue. Ce matin, l'état des forces et de la respiration est à peu près le même qu'hier au soir. Comme détail complémentaire de ce bulletin, on nous assure que Victor Hugo, qui a toute sa raison et qui se sent perdu, a fait entendre pendant l'oppression une plainte formulée en ce vers : « En moi, c'est le combat du jour et de la nuit ». Il est à noter que le Matin relate le même fait, avec une légère variante : « C’est ici le combat du jour et de la nuit. »
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+Bulletin mercredi 20 mai - 20 h 0 : il semble qu'il y ait, depuis ce matin, une légère tendance à l'amélioration.
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+Bulletin - mercredi 20 - midi : La nuit a été assez agitée et troublée par deux accès d'oppression. Ce matin, on constate un certain degré d'engagement pulmonaire du côté droit.
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+Bulletin - mercredi 20 - 19 h : On constate ce soir un calme relatif de la respiration. Le pouls se maintient. Pas de fièvre. Le pronostic reste grave.
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+Bulletin - jeudi 21 mai – 9 h du matin : La nuit a été tranquille, sauf quelques instants d'oppression et de grande agitation. En ce moment, la respiration est assez calme et les fonctions intellectuelles sont intactes. La situation est toujours inquiétante.
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+Jeudi 21 mai - midi : Le malade a eu une crise d'agitation très violente qui a duré vingt minutes. M. Vacquerie, Mme Lockroy et le docteur Allix avaient de la peine à le maintenir. Une injection de morphine a ensuite provoqué une période de calme absolu.
+
+Jeudi 21 mai - vers 18 h : La suffocation avait pris un caractère si alarmant que M. Lockroy s'attendait à une fin très prochaine. Cependant un peu de calme est revenu à la suite d'une injection de morphine.
+
+Vendredi 22 mai - 1 h du matin : La situation est absolument désespérée ; l'état d'assoupissement prend le caractère comateux ; l'issue fatale est attendue d'un instant à l'autre.
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+Bulletin - Vendredi 22 mai - sept heures du matin : Aucun changement n'est survenu depuis ce matin, bien que les battements du cœur soient moins énergiques.
+
+Le dernier bulletin - vendredi 22 mai - 9 h 10 du matin : Situation extrêmement grave.
+
+Vendredi 22 mai - Vers 11 h 45 : Après une crise d'agitation, le grand poète s'est affaissé et n'a plus donné d'autre signe de vie que les soubresauts courts d'une respiration de plus en plus faible. C'était l'agonie qui commençait, agonie calme et tranquille, sorte de sommeil inconscient qui n'était que le seuil de la mort. Tous les membres de la famille, appelés en toute hâte, se tenaient au chevet du mourant, abîmés dans la plus poignante douleur. Quelques amis, parmi lesquels MM Armand Gouzien et Sardou, réunis là, mêlaient leurs larmes aux pleurs de la famille désolée.
+
+Vendredi 22 mai - 13 h 27 : La poitrine de VH a été soulevée par un soupir, puis plus rien, l'immobilité de la mort !
+
+Dès le début, affirme Auguste Vacquerie qui fut le témoin des derniers moments, il était convaincu que sa fin était proche. Le lundi 18 mai, il confia à Paul Meurice : « Cher ami, comme on a de la peine à mourir ! — Mais vous ne mourrez pas ! — Si ! C'est la mort. Et il ajouta en espagnol : — Et elle sera la très bien venue » Il souligne, en outre, que son visage était « profondément serein ».
+
+Vendredi 22 mai : Amédée-Paul Bertault moula le visage sous la direction du sculpteur Jules Dalou qui réalisa un buste ; le peintre Léon Bonnat fit un tableau et Léon Glaize un dessin[431].
+
+Samedi 23 mai : Félix et Paul Nadar ainsi qu'Etienne Carjat en firent plusieurs portraits photographiques. Félix Nadar fit également quelques croquis.
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+Dimanche 24 mai - Dans la nuit : les docteurs Sée et Cornil procédèrent à l’embaumement du corps.
+
+Samedi 30 mai - 22 h 30 : Mise en bière.
+
+En octobre 1887, Léon Daudet, qui assista à l’ouverture de Hauteville House après le décès, raconta à Edmond de Goncourt que les armoires « étaient bondées de capotes anglaises, et d’un format gigantesque »[432].
+
+Note : l'année indiquée est la date de la première parution
+
+Recueils posthumes :
+
+Choix de poèmes parmi les manuscrits de Victor Hugo, effectué par Paul Meurice :
+
+Au début du XXe siècle, Victor Hugo reste une gloire nationale et l'anniversaire de sa naissance donne lieu à de nombreuses manifestations officielles[436]. Le milieu artistique a cependant pris un peu ses distances. Le mouvement parnassien et le mouvement symboliste, en remettant en cause l'éloquence dans la poésie, se sont posés en adversaires de l'école de Hugo[437] et la mode en ce début de siècle est à une poésie moins passionnée[438]. André Gide assume la paternité du mot « Hugo, hélas ! » donné en réponse à la question « Quel est votre poète ? » posée par L'Ermitage en février 1902[439], et que certains attribuaient à Verlaine ». Il se souvient de l’émotion que suscitait la poésie de Hugo chez l’adolescent qu’il était, mais pour l’écrivain, le défaut essentiel de Victor Hugo est qu’il « a trop de confiance en son génie. » Son admiration pour lui « s’en tient à la forme » et à son incomparable don d’observation, mais tous ses « défauts énormes [tels que] antithèses constantes, procédés » l’agacent profondément[440]. Cela montre la double attitude des poètes du XXe siècle, reconnaissant à Victor Hugo une place prééminente, mais exaspérés parfois aussi par ses excès[441]. Charles Péguy, dans Notre patrie publié en 1905, n'est pas tendre envers le grand homme[442], l'accusant d'être un « hypocrite pacifiste »[443], disant de lui que « Faire des mauvais vers lui est complètement égal »[444], mais plus loin s'exclamant « quels réveils imprévus, quel beau vers soudain »[444] et parlant d'« entraînement formidable de l'image et du rythme »[445]. Saint-John Perse lui reproche d'avoir perverti le romantisme par son engagement politique[446]. On retrouve de son influence aussi bien chez des admirateurs comme Dostoïevski[447] que chez de violents détracteurs comme Jean Cocteau[448]. Aux yeux de Paul Valéry, « Hugo est un milliardaire. — Ce n’est pas un prince », exprimant ainsi l’idée que la richesse de ses dons ne fait pas de Victor Hugo un des grands maîtres de la littérature[449]. Vers 1930, Eugène Ionesco écrit le pamphlet Hugoliade et reproche à Hugo une éloquence masquant la poésie ainsi que sa mégalomanie[450].
+
+Entre les deux guerres, c'est en sa qualité de révolutionnaire qu'il est apprécié par les gens de gauche (Romain Rolland, Alain) et exécré des réactionnaires (Charles Maurras[451]), c'est en sa qualité de visionnaire qu'il est apprécié des surréalistes[438]. Il est admiré par Aragon[452], par Desnos[453].
+
+Durant la guerre, son image sert de porte-drapeau à la résistance[454],[438].
+
+Au retour de la guerre, les passions s'assagissent, on découvre l'homme. François Mauriac déclare, en 1952 : « Il commence à peine à être connu. Le voilà au seuil de sa vraie gloire. Son purgatoire est fini »[455]. Henri Guillemin publie une biographie très nuancée de l'écrivain[438]. Jean Vilar popularise son théâtre.
+Victor Hugo est désormais adapté au cinéma, au théâtre et pour la jeunesse. Le centenaire de sa mort est fêté en grande pompe[456].
+
+En 2015, Hugo est le dixième personnage le plus célébré au fronton des 67 000 établissements publics français : pas moins de 365 écoles, collèges et lycées lui ont donné son nom, derrière Joseph (880), Jules Ferry (642), Notre-Dame (546), Jacques Prévert (472), Jean Moulin (434), Jean Jaurès (429), Jeanne d'Arc (423), Antoine de Saint-Exupéry (418), Sainte Marie (377), mais devant Louis Pasteur (361), Marie Curie (360), Pierre Curie (357), Jean de la Fontaine (335)[457].
+
+De nos jours, Victor Hugo est toujours une grande inspiration pour les sculpteurs. La Colonne du Savoir, monument en bronze de 3,50 m de haut sculpté par Arnaud Kasper, a été achetée en 2007 par la ville de Courbevoie. Cette colonne est la symbolique de la construction de la vie d'un homme et la représentation du travail fourni par Victor Hugo. Ses combats pour la défense des droits de tous les hommes, ses discours, ses romans, ses pièces, ses œuvres artistiques, etc. L'artiste a également sculpté d'autres portraits de l'auteur.
+
+Un buste de Victor Hugo est exposé au palais Bourbon (Paris).
+
+Les œuvres de Hugo ont donné lieu à d'innombrables adaptations[458] au cinéma, à la télévision ou au théâtre. Le héros hugolien le plus interprété demeure Jean Valjean, incarné, en France, par Harry Baur, Jean Gabin, Lino Ventura ou Gérard Depardieu.
+
+Près d'une centaine d'adaptations au total dont plus d'une quarantaine pour Les Misérables, suivi de près par Notre-Dame de Paris. On peut y voir le caractère universel de l'œuvre de Hugo, car les cinémas les plus divers s'en sont emparés : américain (1915, Don Caesar de Bazan, tiré de Ruy Blas) ; (1928, The Man Who Laughs, adaptation de L'Homme qui rit) ; anglais, indien (1953, Badshah Dampati, adaptation de Notre-Dame de Paris) ; japonais (1938, Kyojin-den, adaptation des Misérables dans un cadre japonais, sous l'ère Meiji) ; égyptien (1978, Al Bo'asa, autre adaptation des Misérables) ; italien (1966, L'Uomo che ride, adaptation de L'Homme qui rit), etc.
+
+L'Histoire d'Adèle H. de François Truffaut est un des rares films biographiques qui évoque indirectement l'exil de Victor Hugo (qui n'apparaît pas dans le film) à travers le destin de sa fille Adèle Hugo. L'écrivain apparaît dans le film de Sacha Guitry Si Paris nous était conté interprété par Émile Drain. L'écrivain apparaît, par autodérision, dans Personal Shopper, dans un téléfilm qui se déroule dans le film, interprété par Benjamin Biolay, pratiquant une expérience de spiritisme[459],[460] (le dossier de presse cite comme source Le livre des tables chez Gallimard[461]).
+
+En 2016, le film documentaire Ouragan, l'odyssée d'un vent a repris le texte de Hugo intitulé La Mer et le Vent[462] pour constituer l'essentiel de la narration, accompagnant les images dédiées à l'ouragan.
+
+Un nombre important d'adaptations d'œuvres de Victor Hugo a été réalisé pour la télévision. Pour la télévision française Jean Kerchbron réalisa les adaptations de Marion de Lorme, Torquemada et L'Homme qui rit, en 2000 Josée Dayan fit une adaptation des Misérables avec Gérard Depardieu, Christian Clavier et John Malkovich.
+
+En 2018, France 2 diffuse une série de 4 épisodes : Victor Hugo, ennemi d'État réalisée par Jean-Marc Moutout qui retrace la vie politique et intime de Victor Hugo de 1848 à 1851. Victor Hugo est interprété par Yannick Choirat.
+
+Une centaine d'opéras ont été inspirés par l'œuvre de Victor Hugo. Signalons, entre autres, parmi les plus connus :
+
+Sur ces opéras et d'autres, on se reportera au numéro hors série de L'Avant-scène opéra, Hugo à l'opéra, dirigé par Arnaud Laster, spécialiste des rapports de Victor Hugo avec la musique et des mises en musique de ses œuvres[463].
+
+Contrairement à ce que l'on a souvent prétendu, Victor Hugo n'était pas hostile à la mise en musique de ses poèmes ni aux opéras inspirés par ses œuvres sauf quand on ne signalait pas qu'il était l'auteur de l'œuvre adaptée[z],[aa]. Néanmoins, lors des premières représentations d'Ernani, Hugo insista pour que le titre et le nom des personnages soient changés[464].
+
+Son ami Franz Liszt composa plusieurs pièces symphoniques inspirées de ses poèmes : Ce qu'on entend sur la montagne, tiré des Feuilles d'automne, et Mazeppa, tiré des Orientales. Camille Saint-Saëns composa un Oratorio Moïse sauvé des eaux en 1850.
+
+De nombreux compositeurs ont mis en musique des poèmes de Victor Hugo :
+
+Plusieurs succès, dont les plus célèbres :
+
+Plusieurs chanteurs ont mis en musique des poèmes de Victor Hugo. Citons :
+
+Dès les années 1820, les œuvres de Victor Hugo attirent l’intérêt du public lettré, qui maîtrise souvent le français. Certains sont élogieux, d’autres beaucoup plus critiques, comme le poète Pouchkine[470]. Dans les années 1860, Tolstoï et Dostoïevski s’enthousiasment pour ses romans[471].
+
+Les Misérables redoublent l’intérêt pour Victor Hugo : la première partie du roman paraît dans cinq revues en 1862, l’année même de sa publication en français (après quoi le roman est interdit[472]). Les autres romans sont également traduits et publiés à plusieurs reprises avant la Révolution de 1917. La poésie et le théâtre, en revanche, intéressent moins[473].
+
+Certaines œuvres sont victimes de la censure, par exemple Notre-Dame de Paris, dont la traduction ne paraît qu’en 1862, et le roman Les Misérables, interdit de 1862 à 1880 (même si le texte circule en français). Cependant, d’autres textes sont publiés sans encombre, par exemple Quatrevingt-treize, et on trouve des adaptations inspirées de ces textes censurés, notamment de nombreuses adaptations scéniques de Notre-Dame de Paris. Les cas de censure se font très rares à partir des années 1880[472].
+
+Dès les années 1880, le public des œuvres de Victor Hugo s’élargit, notamment grâce à des éditions bon marché destinées au peuple et à la jeunesse. Victor Hugo acquiert un statut de classique recommandé par les pédagogues et même par les autorités[474],[475].
+
+Victor Hugo consolide son statut de classique après la Révolution de 1917. Il fait son apparition dans certains programmes scolaires et ses romans sont diffusés massivement : certaines éditions de Notre-Dame de Paris sont publiées à 800 000 exemplaires. La popularité de Victor Hugo tient également à la publication de deux adaptations pour la jeunesse inspirées des Misérables : Cosette et Gavroche, qui connaissent des tirages allant jusqu’à 2 millions d’exemplaires par édition. Victor Hugo est ainsi un des écrivains étrangers les plus lus en URSS[476].
+
+Dans les années 1990, après la chute de l’URSS, l’intérêt pour Victor Hugo s’estompe et les éditions de ses œuvres sont moins nombreuses. On observe un regain d’intérêt pour les romans dans les années 2000. Victor Hugo ne fait actuellement plus partie des écrivains français les plus lus (il cède le pas aux écrivains contemporains) mais conserve son statut de classique.
+
+Victor Hugo s'attire l’attention du public anglais dans les années 1830 en tant que chef de file du mouvement romantique. Le roman Notre-Dame de Paris, traduit en 1833, connaît un certain succès. Victor Hugo est l’objet de nombreuses critiques : beaucoup jugent ses œuvres indécentes.
+
+La poésie lyrique passe assez inaperçue. En revanche, la publication de La Légende des siècles et ce qui est considéré comme de l’irrévérence envers la religion suscite une vague de désapprobation.
+
+Quoique désapprouvé par les critiques qui le jugent immoral, le roman Les Misérables est un succès commercial, surtout à partir du moment où paraissent des éditions à un shilling.
+
+L’Homme qui rit, dont l’action se déroule dans l’Angleterre de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, donne lieu à une grande controverse, le portrait de l’Angleterre dressé par l’auteur n’étant que peu flatteur. Le roman est publié en 1870 dans une version qui ne conserve que l’intrigue et élude les passages historiques et philosophiques.
+
+Après la mort de l’auteur, les éditions de ses romans se multiplient, notamment les éditions bon marché qui permettent l’élargissement du public. De 1885 à 1915, on compte au moins 36 éditions de Notre-Dame de Paris (vendues entre trente shillings et trois pences) et 24 éditions des Misérables.
+
+(liste non exhaustive)
+
+Deux portraits en buste de Hugo gravés par Auguste Rodin (pointes-sèches, 1884 et 1886) figuraient sous les numéros 219 et 220 du catalogue de dessins et d'estampes de la galerie Paul Prouté de 1985. Le sculpteur reçut deux commandes de l’État pour des statues de l'écrivain, une « assis sur un rocher » pour le jardin du Palais du Luxembourg à Paris et qui finalement fin 1906 — soit 27 ans après sa commande — fut placée dans celui du Palais-Royal et en 1886 une autre destinée au Panthéon, où le corps de l'écrivain était entré l'année précédente ; il réalisa également le buste de lui (cf. Bernard Champigneulle, Rodin, Somogy, 1985) qui est reproduit supra.
+
+Il existe deux catalogues bibliographiques des œuvres de Victor Hugo :
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+Sur les autres projets Wikimedia :
+
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+ 18. Albert de Broglie
+ 19. Paul de Noailles
+ 20. Victor Duruy
+
+21. Henri d’Aumale
+ 22. Ludovic Halévy
+ 23. Alfred Mézières
+ 24. Sully Prudhomme
+ 25. Hippolyte Taine
+ 26. Gaston Boissier
+ 27. Elme-Marie Caro
+ 28. John Lemoinne
+ 29. Ernest Renan
+ 30. Ernest Legouvé
+
+31. Xavier Marmier
+ 32. Camille Doucet
+ 33. Maxime Du Camp
+ 34. Alfred de Falloux
+ 35. A. A. Cuvillier-Fleury
+ 36. Adolphe Perraud
+ 37. Camille Rousset
+ 38. Ferdinand de Lesseps
+ 39. Désiré Nisard
+ 40. Joseph Bertrand
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